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LA GUERRE RUSSO-JAPONAISE
ET
L’OPINION EUROPÉENNE

Les premières torpilles, qui, dans la nuit du 8 au 9 février, trouèrent audacieusement la coque du Cesarevitch, du Revitsan et du Pallada, ne causèrent pas plus d’émoi à bord des bâtimens russes qui dormaient, tranquilles sur leurs ancres, qu’elles ne provoquèrent de stupeur dans les chancelleries européennes et de surprise parmi les peuples. Et cependant, rarement guerre est sortie plus fatalement de la situation géographique, politique et économique de deux grands pays ; rarement conflit a été annoncé plus longtemps d’avance et prédit avec plus de persistance. Mais l’on ne croit en général qu’à ce qu’on désire : les peuples et les hommes d’État se refusaient à voir les réalités menaçantes la Russie elle-même avait foi en la paix, parce qu’elle la voulait, et elle s’abstenait de préparatifs militaires ; le Japon, plus résolu à combattre et plus intéressé à la victoire, puisqu’il joue tout son avenir de grande puissance, était plus prêt que son adversaire et a pu frapper les premiers coups.

La paix était à l’ordre du jour, en Europe, au moment où le canon japonais a brutalement coupé la parole aux diplomates. La paix était devenue le leitmotiv de tous les discours des chefs de gouvernement, empereurs, rois ou présidens de République. Jamais, les luttes des partis, à l’intérieur de chaque État, n’avaient été plus violentes ; mais tous ou à peu près tous chantaient à leur tour, bien que sur des tons différens, l’hymne à la paix bienfaisante. Si nous rappelons ces faits, ce n’est point pour