Page:Revue des Deux Mondes - 1904 - tome 21.djvu/187

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— Nous allons suspendre la séance, répond le président ; — et, comme quelqu’un s’informe à quelle heure il faudra revenir, Beauharnais répond que « les nouvelles peuvent arriver d’un moment à l’autre et que, l’Assemblée étant en permanence, il ne peut qu’interrompre la délibération. »

Il était quatre heures du matin.

On se retrouva à neuf heures : Paris, lassé d’attendre, avait repris sa physionomie habituelle : le château des Tuileries était clos et gardé : dans la cour du Louvre, les ouvriers continuaient la construction du grand reposoir pour la Fête-Dieu du lendemain : les craintifs, étonnés de se retrouver indemnes, en rendaient grâce à l’Assemblée et ne manquaient pas de remarquer : — « Nous n’avons pas de roi, et, pourtant, nous avons bien dormi. » On restait persuadé, maintenant, que la famille royale était parvenue à sortir de France : on s’étonnait même que depuis trente heures, on n’eût aucune certitude de son expatriation : ce silence était inexplicable et bien des gens en tiraient, non sans vraisemblance, des conséquences menaçantes.

A l’Assemblée, on est stupéfait de l’absence de nouvelles ; aucun des courriers expédiés la veille n’a reparu, aucun n’a fait parvenir le moindre renseignement. Combien d’heures vont s’écouler dans cette ignorance ? A quoi occuper la permanence ? Lameth, dès le début de la séance, soulève au sujet des diamans de la couronne un incident qui permet de constater que, non seulement le Roi et la Reine n’ont rien distrait du trésor dont ils ont la jouissance, mais qu’ils ont au contraire, avant leur départ, renvoyé tous les joyaux restés à leur disposition. On passe ensuite à l’organisation de la gendarmerie nationale ; mais la discussion languit, les députés n’écoutent que par désœuvrement ; ils se réveillent pour acclamer et accepter l’invitation du curé de Saint-Germain l’Auxerrois les conviant à suivre en corps la procession de la Fête-Dieu ; puis on abandonne la gendarmerie pour passer à la marine, qu’on délaisse aussitôt pour aborder le régime douanier des denrées coloniales : l’Assemblée est désemparée, distraite, énervée ; c’est dans le bruit des conversations que Roussillon, au nom du Comité d’agriculture, débite le texte des trente-cinq articles du tarif des produits coloniaux : « — Seront affranchis de tous droits, les bœufs, lards, beurres et saumons salés, ainsi que les chandelles venant de l’étranger... »

Nul n’interrompt, personne n’écoute : il est midi, et on est