Page:Revue des Deux Mondes - 1904 - tome 21.djvu/180

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pas, pour elle, les intérêts sacrés de l’humanité, elle avait, le premier émoi calmé, repris la discussion du Code pénal, entamée depuis un mois.

L’occasion était séduisante, pour ces préconiseurs de Caton, d’affecter le stoïcisme ; désireux de faire preuve d’une fermeté antique, on les vit, bien sages sur leurs chaises curules, feindre d’écouter le rapporteur, Le Peletier Saint-Fargeau, proposant la rédaction des articles 6 et 7 de la première section du titre II, qui furent votés sans discussion ; mais la contrainte ne dura que quelques minutes ; l’attention était ailleurs : à chaque porte qui s’ouvrait, à chaque mouvement qui se faisait dans la salle, tous les esprits s’échappaient, tous les yeux interrogeaient :

— A-t-on des nouvelles ? Sont-ils repris ?

Une seule préoccupation accaparait les pensées ; aussi, quand on annonça M. de Laporte, intendant de la liste civile, que l’Assemblée avait mandé par décret, Le Peletier Saint-Fargeau et le Code pénal sombrèrent-ils sous un flux d’impérieuse curiosité. On savait Laporte très avant dans la confiance de Louis XVI, et on venait d’apprendre que, le matin, dès huit heures, il s’était rendu chez Duport, ministre de la Justice, afin de lui remettre un mémoire écrit « tout entier de la main du Roi, » que Duport n’avait pas accepté. On avait bien des raisons de croire que, par cette déclaration, Louis XVI faisait connaître les motifs de son départ, le lieu de sa retraite et ses revendications politiques.

Dès que le président Beauharnais eut proposé à l’Assemblée d’entendre M. de Laporte, il y eut sur tous les bancs une explosion de soulagement : « Oui ! oui ! qu’il entre ! » Aussitôt la portière de velours vert s’entr’ouvrit et, entre deux huissiers, l’intendant de la liste civile parut à la barre. C’était un homme de cinquante ans, d’une correction froide, à mine hautaine. Il salua, et Beauharnais lui donna aussitôt la parole.

— Ce matin, dit Laporte, en affectant de ne s’adresser qu’au président, ce matin, à huit heures, on m’a apporté un paquet de la part du Roi. J’ai ouvert le paquet ; j’y ai trouvé un billet du Roi et un mémoire assez long écrit de la main de Sa Majesté...

Il s’était rendu aussitôt, ajouta-t-il, chez le ministre de la Justice, qui lui avait conseillé d’aller de préférence trouver le président de l’Assemblée ; alors il conta, d’un ton de familiarité un peu dédaigneuse, comment, ignorant l’adresse de Beauharnais,