Page:Revue des Deux Mondes - 1904 - tome 21.djvu/171

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sept heures, on rencontra MM. Plaiet, membre du Directoire du département de la Marne, et Roze, procureur général-syndic de Châlons, qui saluèrent respectueusement Leurs Majestés : ils trouvèrent la famille royale « dans un accablement dont on ne pouvait se faire une idée. » Au Pont de Somme-Vesle, courte halte pour le relais : l’escorte, depuis l’arrivée des magistrats châlonnais, s’était quelque peu disciplinée : la garde nationale encadrait la voiture : les Varennois qui comptaient suivre jusqu’à Paris, avaient, aux postes, réquisitionné des chariots : le cortège s’étendait maintenant sur un long espace, avec l’allure d’un convoi de guerre. Les traînards, à demi ivres, formaient l’arrière-garde ; quand on passa, la nuit tombée, au pied de Notre-Dame de l’Epine, ils cassèrent, à coups de pierres, les vitres du presbytère[1].

A mesure qu’on approchait de Châlons, l’escorte se grossissait de tous les curieux accourus pour voir ; la route était bordée de cavaliers, de gens entassés dans des carrioles, de piétons qui regardaient défiler avec ébahissement cette troupe étrange : quatre ou cinq mille hommes environ[2], dont un tiers à peine portaient un uniforme. Jamais souverain n’avait fait, dans une de ses « bonnes villes, » semblable entrée.

Au rond-point où les allées Saint-Jean bifurquent avec la route royale, à l’endroit qu’on appelait alors la Fourche, un détachement de gendarmerie était posté et prit la tête du cortège. qui s’engagea sous les allées afin d’éviter le long parcours par l’intérieur de la ville. Il était plus de onze heures du soir.

La garde nationale de Vitry-le-François, celle de tous les bourgs et villages du district étaient massées sous les arbres, jusqu’à la porte Dauphine ; on ne distinguait rien dans l’intérieur de la berline, mais, sur le siège se tenaient, immobiles et hués depuis le matin, les trois gardes du corps, dans leur livrée jaune ; la milice, la foule, se taisaient au passage du Roi, mais, quand paraissaient les Varennois, très en goguette, on criait : Bravo ! Vive Varennes ! vive la Nation !

A la porte Dauphine, la berline s’arrêta. En 1770, sur les mêmes pavés, avait fait halte la voiture de la jeune archiduchesse Marie-Antoinette, venant en France pour être reine. C’est

  1. « « Au sieur curé de l’Épine, pour réparations des croisées du presbytère, cassées par les gardes nationales lors du passage du Roi, 39 livres. » Etat des dépenses.
  2. Procès-verbal de ce qui s’est passé à Châlons.