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nue, qu’il disait être de fer. » Otfried Muller méditait une histoire de la civilisation grecque sous toutes ses faces, politique, littéraire, artistique, philosophique, à laquelle il voulait associer Curtius pour la partie géographique et descriptive : Curtius reprit l’idée de son maître, et l’exécuta sur un plan plus restreint.

Il quitta la Grèce à la fin de l’année, s’arrêta encore quatre mois à Rome, et regagna l’Allemagne par Venise et le Tyrol. Il partit d’Athènes comme, un demi-siècle auparavant, Gœthe était parti de Rome : il lui sembla que sa vraie patrie était derrière lui. « On peut s’en aller d’ici d’un cœur léger, écrit-il à Victorine Boissonnet, et reprendre gaiement sa place sur le bateau à vapeur, quand on n’est venu que pour une simple visite, qu’on n’a fait que recueillir en passant des impressions plus ou moins agréables, et surtout quand on n’a vécu que dans la Grèce moderne, image grimaçante de la civilisation européenne. Mais celui qui a passé ici près de quatre années, et quelles années ! celui qui a éprouvé ici des joies et des douleurs, qui a parcouru les montagnes et les vallées et sillonné les mers, suivant fidèlement les traces des anciens temps, afin de reconnaître le caractère que le pays a imprimé à l’histoire et l’histoire au pays, celui qui s’est attaché ainsi de cœur et d’âme à la terre et à ses habitans, tu lui pardonneras s’il ne monte qu’en pleurant sur le bateau qui doit le ramener. » À Rome, il est déjà frappé et presque choqué de l’intrusion de la vie moderne qui s’installe bruyamment sur les débris du monde ancien. Mais que sera-ce quand il aura remis le pied sur la terre allemande et qu’il se trouvera face à face avec « la prose de la bière ? » « Je fus pris d’une sorte d’angoisse, écrit-il, la première fois que j’entrai dans une brasserie et que je vis cette longue file de petites tables, garnies de convives à l’air grave, fumant leurs courtes pipes et buvant dans de grands pots, comme si Dieu ne les avait créés que pour cela. » Il ferma les yeux sur ce qui l’environnait, et garda au fond de son âme « ses souvenirs helléniques, clairs ruisseaux qui devaient circuler désormais à travers son champ philologique et le maintenir frais et vert. »


III

Au mois de mai 1841, il rentrait à Lubeck. Au printemps suivant, il fut attaché au gymnase Joachimsthal à Berlin, et, deux