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par un corps français. Les églises furent converties en ambulances. Le jour où elles furent rendues au culte, le pasteur Geibel prononça un sermon « sur la nécessité d’abjurer la vie impie. » En 1813, quand toute l’Allemagne se souleva, ce fut lui qui bénit sur la place du marché les drapeaux distribués aux volontaires ; et quand, deux mois après, les Français rentrèrent dans la ville, le pasteur et le syndic durent se réfugier dans le camp suédois. « On ne pouvait pas, dit Ernest Curtius, présenter le pasteur Geibel comme un modèle à imiter, quand il fondait en larmes dans sa chaire ; mais on avait, en le considérant, l’impression d’un homme tout plein de ses idées, et sa conviction était si absolue qu’elle finissait par s’imposer et qu’elle faisait taire la contradiction, ou la raillerie. »

L’influence du pasteur Geibel faillit un instant attirer Ernest Curtius vers la carrière théologique, où était déjà entré son frère aîné. « Le plus bel emploi de la vie, dit-il dans une de ses premières lettres, est d’enseigner, que ce soit devant un groupe d’élèves, ou devant une communauté chrétienne, ou devant des païens. » Il faisait cette réflexion quand il était encore au gymnase de Lubeck. Il ne songea jamais sérieusement à convertir les païens, et il renonça aussi à l’apostolat intérieur, quoique ses convictions chrétiennes demeurassent intactes jusqu’à la fin de sa vie. Un autre culte, celui de l’antiquité classique, détermina le choix de sa carrière, et ce choix était conforme à ses vraies aptitudes. Le fond de sa nature était l’amour de la science, échauffé par un souffle de poésie. « Que dis-tu, écrit-il à la même époque à son frère Théodore, qui faisait ses études à l’Université de Goettingue, que dis-tu de la résolution que j’ai prise de m’adonner ; entièrement aux lettres anciennes ? Quelle source de pures jouissances, de jouissances divines ! Quel enseignement, quelle joie de pénétrer dans l’esprit de l’antiquité, de savourer tout ce que ses monumens ont de beau ! Tout se réunit pour rendre cette étude attrayante. Même les sciences auxiliaires, l’archéologie et l’histoire, deviennent une nourriture pour l’âme. Mais les Muses ne sont pas toujours d’humeur accommodante, elles ne sourient pas au premier venu. Il faut, par des efforts persévérans, gagner un point de vue élevé, d’où l’on puisse soutenir leur approche et le feu de leur regard. »

Il n’avait que quinze ans et demi quand il écrivait ces lignes. Il était déjà mûr pour l’université. Cependant ce ne fut que deux