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et qui lui font naître sur son compte des idées trop flatteuses, il lui fait observer avec raison qu’il a quarante ans de plus que le Roi, et qu’il doit considérer comme un miracle, « avec une telle disproportion d’âge, qu’il veuille bien le souffrir auprès de lui sans le prendre pour un vieux fol[1]. » Toute convertie et dévote que fût devenue Mme de Caylus, elle était encore un peu du monde, et peut-être la pensée de jouer auprès du Duc du Maine ce rôle de conseillère et d’Égérie qu’elle avait vu jouer à Mme de Maintenon auprès de Louis XIV l’avait-elle un instant tentée. Elle vivait cependant d’une vie de plus en plus retirée, entourée surtout des amis de son fils le philosophe, qui lui tint jusqu’au bout tendre compagnie. Ce fut sur la demande de ce fils qu’elle écrivit ou plutôt dicta les Souvenirs qui ont fait vivre son nom. A chaque page, comme il était naturel, il y est question de Mme de Maintenon. Disons-le, il y a un certain contraste entre le ton des Souvenirs et celui des lettres. La façon dont Mme de Caylus parle de cette tante, à laquelle elle devait tant, n’est pas exempte d’un peu de sécheresse et même d’irrévérence. Après avoir raconté et démenti, il est vrai, « ce qui s’était dit sur Villarceau, « elle rapporte cependant ce propos spirituel de Mme de Lassay à son mari qui se portait garant de la vertu de Mme de Maintenon : « Comment faites-vous, Monsieur, pour être si sûr de ces choses-là ? » Et elle se borne à ajouter : « Pour moi, il me suffit d’être persuadée de la fausseté des bruits désavantageux qui ont couru et d’en avoir assez dit pour montrer que je ne les ignore pas. » Il semble que la petite nièce qui, dans ses lettres, se montre si humble et si câline aurait pu soit ne pas rapporter le propos, soit mettre un peu plus de chaleur à se dire persuadée.

Mme de Caylus était très oubliée quand elle mourut, le 15 avril 1729. Ni Buvat, ni Barbier, qui, dans leurs journaux de la Régence, parlent de tant de morts insignifiantes, ne font mention de la sienne. Seul le Mercure dit : « En ce mois mourut Mme la comtesse de Caylus, personne infiniment distinguée. Sa mort laisse des regrets[2]. » Ces regrets se traduisent dans le portrait que nous avons cité : « La douleur et la mort nous l’ont enlevée dans le temps que ses vertus augmentoient et que ses agrémens ne diminuoient pas. Elle seule, dans cet événement funeste, a conservé la fermeté d’une belle âme et cette douceur céleste qui

  1. Souvenirs de Madame de Caylus, Introduction, p. 20.
  2. Mercure de France, année 1729.