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l’habitude. » Et une autre fois : « Vous n’en ferez jamais un solitaire. N’êtes-vous pas heureuse de le voir un bon chrétien. » Malgré ses quatre-vingts ans et ses deux attaques d’apoplexie, Dangeau ne s’accommodait point en effet de la solitude. Le consciencieux annaliste qui a tenu son journal jusqu’à trois semaines avant sa mort aimait encore à voir du monde et à savoir les nouvelles. Mme de Dangeau, qui était un peu entêtée de jansénisme, aurait souhaité pour lui et pour elle une existence plus fermée. Dans une véritable lettre de direction, car elle resta directrice jusqu’au bout, Mme de Maintenon s’applique à lui démontrer que cette existence est plus méritoire que celle qu’elle souhaitait de mener[1].

« ... Tant que Dieu vous conservera M. de Dangeau, vous ne pouvez changer de vie. Vous êtes d’autant mieux que vous n’êtes pas à votre aise, et c’est ainsi que Dieu nous veut. J’ai ouï dire à des saints, que lorsqu’on souffre, tout est fait. Vous voudriez être réglée dans vos journées comme les religieux de la Trappe, et Dieu veut que vous fassiez bonne chère, en souffrant les contradictions qui se trouvent dans les familles les plus raisonnables. Vous voudriez faire le catéchisme à Avon, et Dieu veut que présentement vous pratiquiez les vertus chrétiennes, au lieu d’en instruire les autres. Il veut que vous amusiez un mari infirme, que vous souteniez des enfans qui pourroient s’échapper, et vous devez. Madame, travailler à l’ouvrage qu’il vous donne avec une grande paix et tranquillité. Vous voudriez être fervente et ne pas perdre la présence de Dieu, et Dieu veut que vous soyez dans la sécheresse ; il se contente de votre fidélité à vivre en bonne chrétienne et à renoncer à cette sécheresse. Quand vous changerez d’état, il vous demandera autre chose, et vous serez dans ce temps-là bien étonnée si vous vous trouvez intérieurement éloignée de Dieu, ennuyée de la solitude et de toutes les pratiques de piété : on peut arranger la conduite extérieure, mais il n’est pas de même de l’intérieure ; on ne pense pas comme on voudroit penser, et je vous assure, Madame, avec la confiance qui est entre nous, qu’il s’en faut de beaucoup que je sois aussi contente de ma dévotion, que je l’étois à Versailles, et que j’étois plus occupée de Dieu à nos comédies que je ne le suis dans le chœur de Saint-Cyr. »

  1. Catalogue Morrisson, t. IV, p. 101.