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« Le petit mot de M. de Dangeau m’a fait plaisir. Je n’en ai point de plus grand que d’être en commun avec ceux qui ont aimé le Roi ; il en coûte quelques larmes, mais elles sont plus douces que d’entendre parler de l’ingratitude des courtisans. » Et c’est tout, dans une correspondance de quatre ans. Est-ce à dire qu’elle n’eût point aimé le Roi ? Non, mais la fidélité du souvenir n’allait pas chez elle jusqu’au regret. Elle avait le sentiment d’avoir rempli sa tâche vis-à-vis de lui. Elle lui avait fait une vieillesse digne, et l’avait préservé des égaremens qui auraient pu la déshonorer. Elle l’avait confirmé dans les pratiques de la religion. Elle l’avait vu mourir en chrétien pénitent ; c’était le but qu’elle s’était toujours proposé : « Avez-vous su, écrivait-elle à une ancienne religieuse de Saint-Cyr, dans quelle disposition le Roi est mort ? Tous les gens de bien ne doutent pas de son salut. Je n’ai plus qu’à penser au mien[1]. »

L’impression dominante qu’on devine chez elle durant les premiers mois est celle du soulagement. Elle était excédée, harassée de cette vie de Cour qui ne lui laissait pas une heure de liberté. Elle n’aspire qu’au repos et à la solitude. Elle en sent le besoin physique et moral. Elle veut vivre dans la retraite et que cette retraite ne soit point troublée. C’est à Mme de Caylus elle-même qu’elle s’adresse pour se défendre contre l’invasion des visites. Elle avait d’abord consenti à recevoir les évêques, mais bientôt elle regrette de s’être embarquée dans cette distinction. Quant aux princesses qui ont l’honnêteté de demander à la venir voir, elle ne veut point en entendre parler. Elle ne consent pas davantage à recevoir les dames composant son ancienne Cabale. Elle ne répond même point aux choses obligeantes que ces dames lui font dire, voulant « oublier tout et être oubliée. » Elle écarte, autant qu’elle le peut, sa nièce la duchesse de Noailles, avec laquelle ses relations paraissent singulièrement refroidies, et quant à la petite nièce à qui elle écrit presque tous les jours, dont les lettres font son plaisir et le seul qu’elle désire, elle ne s’en défend pas moins contre ses trop fréquentes visites. Quand celle-ci vient la voir, elle la renvoie presque rudement, sauf à lui en demander pardon le lendemain : « Il faut au moins que la brutalité que je vous montrai hier m’attire aujourd’hui votre confiance pour les douceurs que je vais vous dire.

  1. Lettres historiques et édifiantes, t. II, p. 440.