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Madame, écrivait-elle à Mme de Maintenon, vous ne me persuaderez point que vous fassiez bien de ne pas faire donner un appartement à Mme de Caylus, et de ne la pas garder toujours auprès de vous. Vous trouverez en elle des ressources infinies, personne n’ayant plus d’esprit et n’étant plus amusante, sans aucune malice. Comptez-vous qu’une telle compagnie ne soit pas bonne dans votre chambre, et que cela n’amusât pas le Roi, qui n’en recevrait d’ailleurs aucun embarras, puisqu’elle est aussi secrète que discrète ? Vous me reprocherez peut-être, Madame, que je l’aime trop. Je vous reprocherai que vous ne l’aimez pas assez[1]. »

« Sans aucune malice » est peut-être beaucoup dire, car Mme de Caylus avait l’esprit railleur, et ce serait, à en croire du moins Saint-Simon, pour s’être moquée du Roi qu’elle serait tombée en disgrâce, autant que pour s’être laissé trop ouvertement aimer par Villeroy. Quoi qu’il en soit. Mme de Maintenon, à qui la princesse des Ursins reprochait dans une autre lettre « de se montrer trop indifférente pour ses proches, » se laissa fléchir, et elle obtint pour Mme de Caylus un appartement à Versailles. Elle le meubla même, mais sans beaucoup de munificence, d’après son propre témoignage : « Le meuble de votre cabinet sera à tout jamais une preuve de mon avarice ou de ma modération, lui écrivait-elle. Il est assez vilain, mais je trouve un grand mérite dans la modestie[2]. » Le mobilier importait peu. Ce qui importait, c’était de ne plus paraître en exil et en pénitence. Le Roi s’était montré bienveillant et affable en son accueil. Il alla même plus loin. Un jour, jour de gloire, il conduisit Mme de Caylus à Trianon et lui en fît les honneurs. La rentrée en grâce était complète. Il fallait bien que la conversion et l’abandon du Père de La Tour servissent à quelque chose.


II

A l’époque où Mme de Caylus reparaissait ainsi à la Cour, elle avait trente-six ans. Elle avait conservé sa beauté, mais perdu sa taille. Elle avait renoncé à toute coquetterie, ne mettait presque jamais de corps (nous disons aujourd’hui corset), et prenait du tabac, au désespoir de la princesse des Ursins qui ne le pouvait

  1. Lettres de Mme de Maintenon à la princesse des Ursins, t. IV, p. 110.
  2. Bibliothèque nationale. Manuscrits français, 1199.