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elle lui adressait une lettre, pleine, il faut le reconnaître, des plus sages et des plus affectueux conseils, bien qu’empreinte encore d’une certaine méfiance. « Je suis ravie, ma chère nièce, de vous avoir fait plaisir. J’aurois hésité entre vos enfans et vous, parce que c’est eux qui sont présentement plus mal dans leurs affaires que vous. Mais j’ai compté sur votre vertu et sur votre tendresse qui me font espérer que vous serez toujours bonne mère, et que vous ne serez pas assez folie pour vous remarier. Vivez en paix, ma chère nièce ; ne reprenez point le monde ; choisissez un certain nombre d’amis pour quelque société particulière. Voyez peu d’hommes, et que ce peu soient d’honnêtes gens. Vivez à la vieille mode. Ayez toujours une fille qui travaille dans votre chambre quand vous serez avec un homme. Méfiez-vous des plus sages. Méfiez-vous de vous-même. Croyez une personne qui a de l’expérience et qui vous aime. Vous êtes encore jeune et belle. Au nom de Dieu, ne vous commettez pas, et ne commettez pas les autres. Servez Dieu sans cabale. Ne vous entêtez de rien. Suivez la voie commune. Ne vous élevez point ; soyez simple, et pardonnez à ma tendresse cette petite instruction[1]. »

L’ancienne pénitente du Père de La Tour prit en bonne part la petite instruction, et, depuis cette fin de l’année 1705, l’harmonie et la tendresse semblent avoir régné entre elles deux. Mme de Maintenon la charge de ses courses et de ses achats de toilette. Elle se plaint que Mme de Caylus lui envoie des étoffes trop élégantes, dont elle se refuse « à parer son vieux corps. » Elle en demande d’autres plus séantes à son âge. « Il n’est pas possible que je sois la seule vieille dans le monde. » Elle l’exhorte à l’économie, et s’inquiète maternellement des dépenses de toilette auxquelles l’entraînera le retour à Versailles.

Mme de Caylus, son deuil terminé, y reparut en effet au commencement de 1707. Elle y vint d’abord incognito, mais, le Roi ayant demandé à Mme de Maintenon pourquoi elle se cachait puisqu’elle n’avait pas été chassée de la Cour, mais s’en était retirée volontairement, elle s’enhardit à y paraître publiquement. Mme de Maintenon hésita cependant assez longtemps à lui faire rendre un appartement à Versailles, bien que la princesse des Ursins, qui était demeurée en relation amicale et en correspondance avec Mme de Caylus, l’en pressât : « Vous aurez beau dire,

  1. Correspondance générale, t. V, p. 46.