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avisée, Mme de Maintenon dut craindre que cette accusation ne perdît à jamais une nièce dont elle n’avait cessé de souhaiter la rentrée en grâce, car sans doute, par son influence, la permission de revenir à la Cour avait été accordée à Mme de Caylus, dès 1699, et ce fut elle qui refusa[1]. De là, peut-être, la mauvaise humeur qui perce dans cette lettre au cardinal de Noailles, comme dans une autre qu’elle adressait peu de temps après à Mme de Caylus elle-même : « Il est inutile de vous souvenir de ce que je vous ai écrit, si vous n’en changez point de conduite. On m’a dit que vous ne vous portiez pas bien ; vous périrez par les charlatans. Je voudrois que vous aimassiez en tout les choses simples[2]. »

Mme de Caylus continuant, malgré ces conseils, à ne pas aimer les choses simples, c’est-à-dire à suivre une direction janséniste, au moins par l’esprit, Mme de Maintenon crut devoir intervenir d’une façon plus efficace. Par quel procédé ? Dangeau va nous le dire. « Le Roi, dit son Journal du 5 janvier 1705, a donné quatre mille francs de pension à Mme de Caylus. Elle en avoit déjà six mille. On a souhaité d’elle qu’elle ne fût plus sous la direction du Père de la Tour, et elle a pris un directeur qui n’est point de l’Oratoire. » Ce changement de directeur avait donc donné lieu à une sorte de marchandage, bien que le Père de La Tour lui-même semble y avoir acquiescé, car Mme de Maintenon, dans une lettre à Mme de Caylus, le loue de sa « sage réponse » et reconnaît qu’il « est sage en tout, » tout en souhaitant « qu’il ne fût pas à la tête d’une congrégation d’où sortent tant de maximes suspectes[3]. » On voudrait croire, pour Mme de Caylus elle-même, que ce ne fut pas la raison décisive. Mais ce changement de directeur eut-il dans sa vie des conséquences aussi fâcheuses que Saint-Simon s’est plu à le raconter ? Est-il vrai qu’elle revint au jeu, à la table, et même à Villeroy, et que « cet inconvénient ne parut rien aux yeux du Roi et de Mme de Maintenon, en comparaison de celui de se sanctifier sous la conduite d’un janséniste ? » Nous en doutons quelque peu, et nous croyons Saint-Simon fort capable d’avoir sacrifié la vérité au plaisir de lancer ce trait contre « la maladie anti-janséniste » de Mme de Maintenon. Quoi qu’il en soit, le sacrifice du Père de La Tour ne suffit pas

  1. Voir les Mémoires de Sourches, t. VI, p. 137.
  2. Corvespondance générale, t. IV, p. 237.
  3. Ibid., t. V, p. 319