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tout mal, soit qu’ils parvinssent, en pleine période de jeunesse et d’ardeur, à les arracher à l’amour. Dans quelques jolies pages sur la direction des âmes au XVIIe siècle, M. Caro a marqué à merveille le rôle de ces prêtres « confidens non pas seulement des fautes, mais des peines secrètes et des troubles, sachant à chacune de ces âmes diversement blessées parler son langage, scruter, sonder sa plaie de l’œil et de la main, la traiter avec des ménagemens infinis, avec un art plein à la fois de délicatesse et de précision. » L’influence que ces directeurs prenaient dans des vies de femmes était parfois si grande que l’austère Nicole y voyait quelque danger : « Il y a, disait-il, une galanterie spirituelle aussi bien qu’une sensuelle, et, si l’on n’y prend garde, le commerce avec les femmes s’y termine d’ordinaire. » D’ordinaire peut-être, et encore est-ce beaucoup dire, mais assurément pas toujours, car il en fut de sévères. Quelques-uns d’entre eux ont laissé un nom, même dans les lettres : Bourdaloue, Duguet, Nicole lui-même, sans parler de Fénelon. D’autres sont moins connus, bien que leur renommée, à l’époque, n’ait pas été moindre. Tel, en particulier, le Père de La Tour, sous l’influence duquel tomba Mme de Caylus.

Celui-ci n’était ni un crasseux ni un barbichet, comme dit Saint-Simon, quand il parle des Sulpiciens et des Lazaristes. Il sortait au contraire d’une bonne famille originaire du Bugey. Son père avait été écuyer de la Grande Mademoiselle ; lui-même avait compté au nombre des pages qu’elle entretenait dans sa petite cour. Donc, il possédait sur les autres directeurs cette supériorité d’avoir appartenu à ce monde au milieu duquel vivaient ses pénitentes, et d’avoir lui-même vécu de leur vie, car, à la cour de la Grande Mademoiselle, à Eu ou au Luxembourg, quand il était jeune, il avait dû en voir de toutes les couleurs. « C’étoit, dit Saint-Simon, un grand homme, bien fait, d’un visage agréable, mais imposant, fort connu par son esprit liant, mais ferme, adroit, mais fort, par ses sermons, par ses directions. » Le Père de La Tour, tout Oratorien qu’il fût devenu, était comme on voit, demeuré homme du monde. Par là s’explique son succès, et le grand nombre des Tourettes, comme on appelait ses pénitentes. Il en avait enlevé quelques-unes à Bourdaloue lui-même. Son urbanité plaisait, et, comme l’urbanité était aussi, d’après l’abbé Gédoyn, le liait distinctif de Mme de Caylus, ce dut être ce caractère commun qui l’attira vers ce directeur, et qui la soumit à