Page:Revue des Deux Mondes - 1904 - tome 20.djvu/99

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

guide est même très louable. Il voudrait, en effet, restreindre la part excessive de fantaisie qui se glisse dans les jugemens portés sur les œuvres d’art et n’y laisser place qu’à l’appréciation de toutes les qualités positives qui peuvent établir la supériorité d’un maître et caractériser sa manière.

Organisées par les membres de l’ancienne Académie de peinture afin de s’éclairer mutuellement sur les principes de leur art, les conférences faites par plusieurs d’entre eux sur différens maîtres manifestent également leur désir de substituer au caprice des jugemens individuels une autorité plus compétente et moins variable. L’un d’eux même, Henri Testelin, avait publié un recueil intitulé : Sentimens des plus habiles peintres sur la pratique de la peinture, mis en tables de préceptes. Mais, peu à peu, les rivalités d’influences et la prétention de faire prévaloir des vues personnelles ôtèrent à ces discussions le caractère désintéressé qu’elles avaient d’abord et tendirent de plus en plus à restreindre la sincérité absolue que les artistes doivent avant tout garder dans les consultations qu’ils demandent à la nature. Avec Diderot et ses Salons, la critique allait reprendre l’incohérence de ses allures[1]. Impatient de toute règle, incapable de toute mesure, Diderot distribue, au gré de son humeur mobile, les louanges ou le blâme. Plus sensible au choix des sujets qu’à la manière de les traiter, il s’abandonne, avec une verve intempérante, à tous les développemens littéraires et à toutes les digressions qui s’offrent à sa tumultueuse imagination. Cette absence complète de règle se retrouve d’ailleurs dans les appréciations esthétiques des voyageurs qui ont visité l’Italie au XVIIIe siècle, et le simple rapprochement clos jugemens contradictoires portés par eux sur les mêmes œuvres formerait une curieuse histoire des variations du goût à cette époque.

On comprend que, pendant la Révolution et les guerres de l’Empire, les questions d’art ne pouvaient guère préoccuper les esprits. Cependant l’amas des chefs-d’œuvre qui, à la suite des victoires de nos armées, encombraient le Louvre devait éveiller chez nous le sentiment, alors assez nouveau, de la merveilleuse richesse et de la diversité des talens qui ont illustré les grandes périodes de production artistique. Cette façon barbare de traiter

  1. C’est comme un signe des temps que nous mentionnons ici la critique fantaisiste de Diderot, qui du reste n’a pu exercer aucune influence sur son époque, puisque ses Salons n’ont été publiés qu’après sa mort.