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traditions respectables par elles-mêmes, auxquelles on ne saurait porter atteinte sans inquiéter inutilement un grand nombre de consciences. Enfin il aurait assuré que la laïcisation de l’État, même si on la pousse à ses dernières conséquences, n’impose nullement la nécessité de dégrader les monumens publics.

Mais le gouvernement actuel s’est bien gardé de tenir ce langage ; il s’est contenté de dire qu’il ferait ce qu’on voudrait ; le parlement n’avait qu’à exprimer une volonté, il l’exécuterait. L’amendement Dejeante a été voté à une très faible majorité ; il y avait peu de monde à la Chambre et personne n’y a fait attention. Le vote n’en était pas moins acquis ; seulement il n’avait aucune valeur avant d’avoir été ratifié par le Sénat, et le Sénat ne l’a pas ratifié. Non pas que le Sénat ait, dans les questions qui touchent directement ou indirectement aux choses religieuses, une autre opinion que la Chambre ; mais il a plus d’expérience et de prudence et, lorsqu’une manifestation ne peut d’ailleurs servir à rien, il ne croit pas que son caractère vexatoire et brutal soit à lui seul un motif de la faire. Le Sénat a donc relevé de 100 francs le crédit que la Chambre (avait diminué de pareille somme. Le budget se votant à la fin de l’année, dans les derniers jours de décembre, une transaction se fait d’ordinaire entre les deux Chambres pressées par le temps. On tenait beaucoup, le 29 décembre 1903, à échapper aux douzièmes provisoires. Le Sénat n’a pas cru devoir insister sur le relèvement du crédit : il a consenti, pour en finir, à la diminution de 100 francs, mais son rapporteur a dit expressément, au nom de la Commission des finances, que, dans sa pensée, cette économie ne signifiait pas du tout que les emblèmes religieux devraient être supprimés. Le rapporteur était M. Maxime Lecomte ; il appartient à la majorité ministérielle ; il n’est pas suspect de tendances cléricales ; cependant il a qualifié, lui aussi, de respectables des traditions anciennes et inoffensives, et à cette raison morale il a ajouté quelques raisons matérielles de pratiquer ici le vieil axiome : Quieta non movere, ne pas mettre le trouble là où est la paix. — Mais que voulez-vous donc que je fasse ? s’est écrié éperdument M. le garde (des Sceaux. La Chambre vote dans un sens, le Sénat dans l’autre : le gouvernement manque de boussole. — Faites ce que vous voudrez, lui a-t-on répondu. — D’où il faut conclure que, non seulement M. le garde des Sceaux n’a pas reçu mandat d’enlever les emblèmes religieux des prétoires, mais que, l’ayant sollicité, il se l’est vu refuser. Il a passé outre ; c’était peut-être son droit, mais à la condition d’accepter pour lui tout entière la responsabilité qu’il cherche à