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qualités, fût un spécialiste en matière maritime ; mais il est, au Sénat, le grand défenseur, l’heureux sauveur du ministère, qu’il a arraché naguère aux griffes de M. Waldeck-Rousseau. Quant à M. Thomson, il a été rapporteur du budget de la marine ; mais son principal titre a été certainement, aux yeux de M. Pelletan et de M. Combes, d’avoir déposé la motion qui leur a confié le soin de former eux-mêmes la commission et d’en choisir les membres à leur convenance.

On a beaucoup parlé d’un précédent, vieux de dix années, qui ne pouvait s’appliquer en aucune manière à la situation présente. En 1894, il y avait déjà, comme il y en a toujours eu et comme il y en aura toujours, des imperfections dans notre marine. Le gouvernement s’en était aperçu tout le premier, et, sans y être invité par les Chambres, il avait spontanément nommé une commission d’enquête. Le président du Conseil était, à cette époque, M. Casimir-Perier : il avait pour ministre de la Marine l’amiral Lefèvre. Personne n’accusait ce dernier d’impéritie ou d’incurie : il n’était d’ailleurs aux affaires que depuis quelques semaines lorsque la commission a été créée. La différence entre M. Pelletan et l’amiral Lefèvre était aussi grande qu’elle l’est entre M. Combes et M. Casimir-Perier. Les hommes n’étaient pas comparables, les circonstances non plus. En 1894, la commission extra-parlementaire était déjà réunie, et sa composition était certainement de nature à satisfaire les plus difficiles, lorsque la question a été soulevée devant la Chambre de savoir si une commission parlementaire n’était pas préférable, et s’il n’y avait pas lieu de la substituer à celle que le gouvernement avait désignée. C’est évidemment ce que celui-ci ne pouvait pas accepter ; un pareil vote aurait été le désaveu d’un acte accompli par lui, et dont la Chambre aurait proclamé l’insuffisance. Mais aujourd’hui la situation était tout autre. Le gouvernement n’avait encore pris aucune initiative ; il ne se décidait même à en prendre une que parce que la Chambre et l’opinion le poussaient l’épée dans les reins. Enfin ce n’était pas tant l’administration de la marine qui était en cause que le ministre lui-même, et il y avait une ironie déconcertante, si les préoccupations générales étaient fondées, à charger M. Pelletan en personne de diriger et de présider l’enquête qui devait surtout porter sur son administration. Comment la Chambre ne se serait-elle pas rendu compte de tant de différences entre les hommes et les choses d’autrefois et d’aujourd’hui ? Au surplus, M. Ribot les lui a fait toucher du doigt. Néanmoins la majorité a passé outre. Pourquoi ? Parce que, à la veille des élections municipales, le véritable « péril national » lui a paru être la chute