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d’une commission d’enquête parlementaire. Il y a dans le parlement quelques personnes compétentes en matière de marine, d’autres qui ont de l’expérience administrative, d’autres encore qui ont une intelligence rapide et un heureux esprit d’assimilation : il fallait leur confier le soin de faire sur l’état actuel de notre marine une étude qui aurait pu être sérieuse, approfondie, efficace. Le parlement a d’ailleurs par lui-même, dans le système de nos institutions, une autorité qui lui aurait facilité sa tâche. Mais, incontestablement, la nomination d’une commission pareille aurait été a priori un acte de défiance contre M. Pelletan, et c’est pour cela qu’il aurait fallu l’ordonner. Le ministère a paré le coup par un procédé en quelque sorte classique : il s’est chargé de nommer lui-même la commission d’enquête, ce qui était sans doute avouer que la situation de la marine laissait à désirer, mais ce qui signifiait en même temps, si la Chambre se ralliait à sa proposition, qu’elle avait confiance en lui pour réparer le mal. Au surplus, en était-il seul responsable ? Toute la thèse de M. Pelletan et de ses défenseurs a consisté à dire que le mal était beaucoup plus ancien que le ministère actuel, et qu’il tenait à des causes complexes et lointaines dont il était injuste de faire retomber le poids sur une seule tête. Les griefs contre M. Pelletan se divisaient et s’atténuaient en s’appliquant à beaucoup d’autres. Bref, il sortait d’affaire à peu près sain et sauf. C’est ce, qui est arrivé. M. Doumer a déclaré qu’il n’entendait pas soulever une question politique ; que son intervention ne visait ni le ministère, ni un ministre qu’il n’avait pas d’autre préoccupation que de faire la lumière sur notre marine ; enfin, que la nomination d’une commission d’enquête le satisfaisait pleinement, que ce fût d’ailleurs le gouvernement ou la Chambre qui la choisît.

C’était se montrer d’humeur conciliante et facile. M. Ribot a été beaucoup plus dans le vrai en qualifiant par avance de commission de fonctionnaires celle que le gouvernement aurait nommée. L’autorité d’une commission, et le sentiment qu’elle en a elle-même, viennent plus, en effet, de son origine que de sa composition. Aussi, tout en reconnaissant qu’il y a des hommes très au courant des choses de la marine dans celle que le ministère vient de former, — et comment n’y en aurait-il pas au moins quelques-uns ? — nous restons convaincus qu’elle n’aboutira à rien. Elle sera présidée par M. Pelletan, et elle aura pour vice-présidens MM. Clemenceau et Thomson. Cela suffit à la caractériser, et à montrer quelle place la politique y tiendra. On ignorait généralement que M. Clemenceau, qui a tant d’autres