Page:Revue des Deux Mondes - 1904 - tome 20.djvu/933

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sans sexe, presque sans forme, jeté en dehors des conditions de l’humanité par son exaltation maladive et ce dévouement à la cause qui remplace chez elle tout autre sentiment, elle est sur la route de la folie : elle y a déjà rencontré le crime.

Ces deux types fixeront sans doute pour quelque temps le poncif du nihiliste au théâtre, comme nous avons déjà le poncif, de l’Anglais, de l’Américain, du Brésilien, etc. Les autres rôles sont assez insignifians. Ceux de Julien et de Vera ne sont que des variantes du jeune premier et de l’ingénue. Les divers Lafarge sont des imbéciles. Vous n’avez d’ailleurs pu manquer de remarquer que la bonne Mme Lafarge est aveugle, et que, grâce à Vera Levanoff, elle commençait à, voir clair ; et il ne vous a pas échappé que ces choses doivent être entendues dans un sens mystique. Dans le théâtre moderne, dès que nous voyons un infirme, nous nous méfions : nous flairons un symbole.

Le public ne s’est pas trompé sur la signification de l’œuvre de MM. Donnay et Descaves. Il s’est amusé à y voir défiler des originaux assez différens du personnel ordinaire de gens de cercle et de demi-mondaines qui emplit et encombre notre théâtre. Il n’a pas pris plus au sérieux qu’il ne fallait les bonimens de Gregoriew et de ses coreligionnaires. Il a négligé de donner des marques de son approbation, lorsque celui-ci a déclaré que : la propriété, il n’en faut plus. En revanche il applaudit avec conviction à l’apologie que fait Gregoriew du mariage sans maire et sans curé. La campagne que mènent, depuis ces dernières années, le roman et le théâtre en faveur de l’union libre, n’est certes pas sans efficacité.

Le rôle de Gregoriew est excellemment tenu par M. Chelles. Il est impossible d’y mettre plus de pittoresque, plus de verve haute en couleur, plus d’abondance et de sonorité. C’est la joie de la soirée, et c’est le succès de la pièce. Mlle Mellot n’est pas moins remarquable dans le rôle de Tatiana : elle en fait très intelligemment une marionnette à effrayer les petits enfans. Mme Van Doren ne manque ni d’élégance, ni de distinction sous les traits de Vera Levanoff. M. Antoine n’a qu’un rôle de raisonneur sans importance. Et M. Grand est toujours le même amoureux terrible avec ses gestes en bois, sa chaleur factice, et la monotonie bredouillante de son débit.


La représentation du Mannequin d’Osier à la Renaissance a été pour tous les lettrés une occasion de reprendre en mains cette trilogie fameuse : l’Orme du Mail, le Mannequin d’Osier, l’Anneau d’Améthyste. Il y a profit à la lire ainsi, à distance et d’ensemble. On en sent mieux