théories, on est assuré de nous procurer à la fois l’agréable frisson de la peur et l’illusion flatteuse d’une discussion d’idées.
C’est ce qu’ont bien compris les auteurs d’Oiseaux de passage. MM. Maurice Donnay et Lucien Descaves avaient déjà donné dans la Clairière l’ingénieux spécimen d’un genre de théâtre empruntant ses sujets et ses personnages à la peinture du monde révolutionnaire. Leur nouvelle œuvre appartient à la même catégorie. Au premier abord, la collaboration de deux écrivains si différens semble paradoxale. M. Descaves est un polémiste violent, implacable censeur de l’égoïsme de notre société bourgeoise. M. Donnay est un moraliste nonchalant, observateur amusé et indulgent de notre moderne déliquescence. Mais, la première surprise passée, on se rend compte de tout ce qu’a d’heureux le concours de deux talens qui, en s’opposant, s’équilibrent. Nous ne sommes pas encore tout à fait mûrs pour l’avènement d’un théâtre franchement révolutionnaire : le sourire de l’ironie sauve tout. Qu’on idéalise les nihilistes, cela cesse de nous choquer, si, au même moment, on les raille. Il n’est que de doser dans de justes proportions l’idylle, l’anarchie et la blague.
Dans le cycle des pièces qui vont de Mlle de la Seiglière au Maître de Forges, il s’agissait uniformément du mariage d’un roturier avec une patricienne. Cette intrigue plaisait ; on la tenait pour symbolique de la fusion des classes. Ici, de même, il s’agira du mariage d’un jeune bourgeois avec une jeune nihiliste. On s’est rencontré, en Suisse, dans une pension de famille, et Julien Lafarge s’est épris de Vera Levanoff qui est d’une beauté remarquable. On se retrouve à Paris. Julien et Vera fréquentent pareillement les cours de l’École de médecine. Accueillie dans la famille Lafarge, Vera y conquiert tous les cœurs. Elle entoure de soins délicats Mme Lafarge qui est aveugle, allège son incurable ennui, fait rentrer la gaîté dans la maison. Les Lafarge en sont à ne plus comprendre comment on peut vivre sans avoir sa nihiliste chez soi. C’est pourquoi chacun encourage l’amour de Julien pour Vera et se réjouit des fiançailles des deux jeunes gens. Certes, il y a encore dans les allures de Vera quelques étrangetés, mais qui ne peuvent manquer de s’atténuer avec le temps. Cela passera après le mariage : la vie en commun arrange bien des choses. Le fait est que Vera est plus touchée qu’elle ne veut le laisser paraître par la douceur d’être aimée. Le cœur de cette farouche cérébrale s’émeut Elle faiblit, elle s’amollit dans la tiédeur d’un intérieur bourgeois ; et il y a tout lieu de croire qu’un jour viendra où elle sera définitivement conquise par son nouveau milieu. Seulement Tatiana veille. Tatiana est l’amie de