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produit que peu d’impression dans la masse, alors indifférente et ignorante, du peuple gallois ; d’autre part, aucun lien profond ne l’unissait à l’Église catholique, dont l’intervention ne s’était jamais produite en faveur de la cause nationale. Les Gallois acceptèrent donc sans résistance et sans enthousiasme une nouveauté qui ne les intéressait pas, et il n’y eut rien de changé dans leurs âmes lorsque le clergé du roi remplaça le clergé de Rome.

La nouvelle Église fut plus indifférente encore à la condition de ce malheureux peuple et plus négligente de ses devoirs que n’avait pu l’être, aux pires époques, l’Église romaine. Il n’y eut pas de traduction de la Bible avant 1588, les services religieux furent toujours tenus avec la plus grande irrégularité. Les évêques, tous Anglais, s’abstiennent de résider dans leur diocèse ; il leur suffit de cumuler les bénéfices : c’est le « système des pluralités. » L’évêque Luxmoor, de Herford, ensuite archevêque de Saint-Asaph, avait ménagé à son fils aîné un revenu annuel de 7 618 livres, soit 190 450 francs ; à un second fils, 50 000 francs ou, pour être plus précis, 1 963 livres ; enfin le neveu avait dû se contenter de 830 livres, c’est-à-dire un peu plus de 20 000 fr.[1]. Le pauvre clergé paroissial est, au contraire, si mal payé et sa vie est si dure dans la Welcherie qu’il ne peut recruter d’hommes de culture ni de valeur quelconque. Un curé dessert trois ou quatre églises pour dix ou douze livres par an. Ici, il y a eu deux sermons en douze mois ; là, on n’a point prêché depuis cinq ou six années ; ailleurs, le culte n’est célébré qu’un dimanche sur deux. Dans telle paroisse, qui n’est pas une exception, il ne l’est plus jamais ; le curé ne prêche point, n’enregistre ni les baptêmes, ni les mariages, ni les enterremens ; « il passe son temps dans les tavernes, s’adonne publiquement à l’ivrognerie et au tapage, se querelle avec ses paroissiens et autres gens[2]. » La vérité, c’est que l’Église anglicane n’était pour les gouvernemens du XVIIIe siècle qu’une machine politique : elle n’avait jamais rien eu, surtout au Pays de Galles, d’une force spirituelle.

En somme, on peut dire que, dans la première moitié du XVIIIe siècle, la population de langue galloise était probablement la plus arriérée de l’Angleterre. Elle semblait un corps sans âme qui, par le mécanisme de l’habitude, aurait continué de

  1. Voyez Rhys, p. 468-9.
  2. Ibid.