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constituant ainsi autant de centres hostiles à la tradition galloise. Chaque jour accroît l’importance et la force de cette aristocratie conquérante qu’un abîme sans cesse élargi sépare de la masse rurale emmurée derrière son vieil esprit, ses vieilles mœurs et son antique langage. Ce foyer du passé recèle une flamme qui parfois s’avive et éclate ; il suffit d’une étincelle la chimère d’Yvain de Galles ou l’orgueil d’Owen Glendowr. Mais Yvain de Galles, noble prince de la lignée de Llewelyn, au service du roi de France, meurt assassiné par un Anglais de sa suite, sans avoir pu seulement tenter de réaliser son rêve de restauration ; Owen Glendowr, après avoir ressuscité quinze ans la monarchie galloise, finit en rebelle vaincu et soumis. Certains chefs de la révolte n’hésitent pas à passer au roi d’Angleterre, comme cet Owen ap Meredith ap Tewdor qui, d’abord écuyer de Henri V, épousa ensuite secrètement sa veuve, fondant ainsi la future maison royale des Tudor.

Le jour où le petit-fils d’Owen Tewdor, prince anglais exilé chez le roi de France, débarqua de Harfleur dans la patrie de ses aïeux pour tenter d’arracher la couronne à l’odieux Richard III, un grand espoir émut le peuple de Galles. L’étendard rouge flotta de nouveau sur le Snowdon, l’enthousiasme des bardes se réveilla, et les guerriers se pressèrent au rendez-vous. Quelques jours plus tard, Richard était battu et tué à la bataille de Bosworth, Henri Tudor couronné à sa place sous le nom de Henri VII. Qu’allait devenir, à la suite de ce triomphe d’un prince d’origine galloise, la destinée du peuple fidèle qui l’avait installé sur le trône de ses vainqueurs ?

La condition du pays était misérable, aggravée encore depuis l’insurrection de Glendowr. Tandis que les représailles poursuivaient ceux qui, hantés de leur chimère, demeuraient trop attachés aux souvenirs et aux espérances, une politique insinuante assimilait toutes les forces disponibles. Les nobles de Galles acceptaient des fonctions à la Cour, se mariaient dans l’aristocratie anglaise, fréquentaient les Universités. Le vide s’élargissait autour de la masse du peuple. Le paysan, fixé à sa terre, isolé dans ses vallées et ses montagnes, extérieur, si l’on peut dire, au mouvement qui transformait la vie autour de lui, s’engourdissait dans la torpeur et la misère. En deux siècles, son activité ne s’est manifestée que par des soulèvemens, comme si, du fond de son sommeil, il n’était plus capable d’agir que pour son rêve.