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tour à chaque angle, avec un donjon en ruines au milieu. Elle fut fondée par les comtes de Chesler et de Shrewsbury, quand ils conquirent l’île au XIe siècle. Enfin, à l’extrême pointe orientale, une ferme tapissée de verdure est tout ce qui subsiste d’un prieuré fondé peut-être au VIe siècle par Maelgwn Gwynedd, prince du Nord-Galles. A Baron Hill on voit le cercueil de pierre de la princesse Jeanne, femme de Llewelyn le Grand et fille du roi Jean d’Angleterre.

Cette île d’Anglesey, terre élue des Druides et des Bardes, fertile en cultures, douce de climat, fut longtemps le centre de la vie galloise. Ailleurs, les souvenirs sont plus rares encore, et je n’en avais point rencontré dans mes promenades à travers les comtés de Carnarvon et de Merioneth quand je vis enfin, près de Blaenau Festiniog, dominant un grand village habité par les ouvriers des carrières d’ardoises, une tour carrée et un pan de vieux mur. C’est le château de Dolwyddelan, ou plutôt ce qu’il en reste. A en juger par le tertre sur lequel elle était bâtie, la forteresse ne fut jamais grande. Mais elle est le plus vénérable de tous les vestiges du passé national, car la tradition y fait naître Llewelyn le Grand et honore en elle la dernière place forte du Nord-Galles qui ait résisté à Edouard Ier.

L’empreinte du vainqueur recouvre aujourd’hui cette histoire, et les forteresses anglaises imposent partout l’image de la domination. Conway, à l’entrée de sa rivière, semble vraiment monter une garde grandiose. Elle est, sur le front du noble pays de Galles, comme la couronne de tours qui surmonte le blason d’une ville. Dès que la vue porte vers la côte nord, elle s’arrête sur cette masse harmonieuse, estompée d’ombre bleue sous le ciel du matin, grise au soleil de midi et noire dans le rougeoiment du crépuscule. C’est une apparition les jours de brouillard, et, par les beaux soirs lumineux, elle prend des aspects de grandeur orientale, qui rappellent que son fondateur fut un croisé. Noble ruine, juste assez mutilée pour avoir la grandeur des choses mortes, magique décor vidé de sa vie comme le passé qu’il évoque et toujours debout comme son souvenir, elle demande à notre imagination de lui rendre une âme. Ainsi l’histoire nous impose des contours qu’il faut remplir et maintient dans le présent ses ébauches qui deviennent les cadres de nos rêves…

A Carnarvon, le rêve devient une révélation. Ce n’est pas un