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distinguai toujours les gens d’Angleterre et ceux de Galles. Il me sembla même qu’on serait mal reçu à les confondre, car s’ils n’ont plus qu’une vie, ils gardent deux âmes, qui se jugent sans bienveillance et se rapprochent sans sympathie. Le moindre autochtone de la Principauté se considère comme supérieur aux premiers de l’Angleterre et se croit « de meilleure et de plus noble race, » disait l’un d’eux au siècle dernier, « que cette noblesse d’hier, issue de bâtards, d’aventuriers et d’assassins. » De son côté, l’Anglais me parut regarder ce concitoyen si différent avec quelque mépris et se plaire à le rabaisser. Il le dit volontiers menteur, vaniteux, brouillon et trouve grossière sa façon de vivre. La divergence s’aggrave encore dans les campagnes où l’antagonisme des conditions renforce l’opposition d’esprit, de langage. Nul lien entre le propriétaire et le tenancier, pas même cette longue tradition de vie commune qui peut atténuer la différence d’origine. Le paysan, que ni la conquête, ni les transformations n’ont pu déraciner du sol, y vécut des siècles loin du centre des affaires, isolé de toute influence, et réfractaire à une domination tard venue, qu’il ne reconnut jamais. Je n’étais pas depuis huit jours dans le Nord-Galles que déjà l’impression de ce conflit dominait en moi toutes les autres. A mesure qu’elles se précisèrent, s’ordonnant autour de celle-là, je discernai mieux la part et le sens des deux forces hostiles, leur jeu dans le passé, et, du point où ce jeu en est venu, l’issue qu’il présage.


II

On parle des cent vingt-six châteaux de Galles. Jamais terre ne fut écrasée sous le poids de tant de forteresses. Partout elles ont obsédé mes regards : les unes gardent les côtes, d’autres les estuaires, d’autres les défilés, — Harlech, sur une falaise à pic qui domine la mer ; Beaumaris dans son île, Conway et Carnarvon, masses prodigieuses, posées là par cet Henry de Elreton dont le génie d’architecte égala la grandeur que son maître, l’ayant abattue, lui donnait mission de contenir.

Quand la conquête de 1282 eut réduit la dernière principauté indépendante, l’annexion du Gwynedd marqua la fin de la domination cambrienne dans la grande île de Bretagne si longtemps soumise, comme son nom l’atteste encore, à cette antique