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à Rarotonga (îles Tahiti) (1823), il y trouva des anthropophages et, après dix ans de travail, il les avait convertis en chrétiens pacifiques. Ce sont des missionnaires de toute confession, qui ont aboli cette coutume aux Iles Sandwich (Hawaï), et aux Marquises, aux Iles Hervey, à Samoa, aux Nouvelles-Hébrides, à la Nouvelle-Guinée. Le pasteur Lengereau, aumônier à Nouméa, qui a résidé quelque temps à Maré, une des îles de l’archipel Loyalty, a raconté[1]comment au bout de trente-quatre ans, par la seule action morale de l’Évangile, on était parvenu à abolir le cannibalisme dans ce même archipel de Loyalty, où J. Williams avait été massacré et dévoré en 1839. Mais nulle part la métamorphose ne fut plus radicale qu’aux îles Fidji : à Mbaou, l’une de ces îles, la pierre même qui servait aux sacrifices humains a été creusée et est employée aujourd’hui comme fonts de baptême[2]. Au pays des Achantis et au Vieux Calabar, on immolait des centaines d’esclaves, sur la tombe du roi défunt ou à l’époque de certaines fêtes nationales. Les missionnaires ont toujours demandé et obtenu parfois la grâce des victimes, à prix d’argent ; c’est à leur instigation que lord Rentink, vice-roi des Indes, a aboli les sacrifices humains, qui étaient en usage chez les Khonds de l’Orissa.

Les procédés bien connus de la justice en Turquie, en Perse ou au Maroc ne donnent qu’une faible idée de la procédure criminelle chez les peuples non civilisés. Elle est, en général, abandonnée à l’arbitraire du chef de la tribu, quand elle ne dépend pas de la fantaisie du sorcier. Dans la plupart des cas, on ne se met guère en peine de découvrir le vrai coupable ; on se contente du moindre indice, des présomptions les plus vagues. C’est déjà un petit progrès, lorsque le juge indigène a recours à certaines épreuves, pour le reconnaître, mais ces dernières sont aussi peu rationnelles, que les combats judiciaires au moyen âge. Les Aïnos (Japon) recourent à l’eau, les Khoïs (Hindoustan), à l’huile bouillante ; on force le prévenu à y plonger le bras, quelquefois une partie du corps. S’il en sort intact, il est réputé innocent, sinon, il est convaincu du crime dont on l’accuse. En Afrique, on fait avaler au prévenu une décoction d’un végétal vénéneux, et suivant que le patient se montre réfractaire ou sensible à l’effet du poison, il est acquitté ou condamné. Rien

  1. Voyez le Missionary Record, juin 1894.
  2. Dennis, ouvrage cité, II, p. 338.