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infant de Portugal, dirigea sur la côte de l’Or la première expédition, destinée à ramener des travailleurs nègres. A l’exemple des Portugais, Espagnols et Hollandais, Français et Anglais pratiquèrent à l’envi cet abominable trafic, qui ne fut aboli par la France qu’en 1828. L’esclavage le fut à son tour, dans toutes nos colonies en 1848. Le Congrès de Berlin (1885) et la Conférence de Bruxelles (1890) manifestèrent la volonté unanime de l’Europe d’abolir définitivement la traite en Afrique. Mais, malgré ces défenses solennelles, malgré les sanctions attachées à ces édits, malgré la vigilance de la France, de l’Angleterre pour saisir les marchands d’esclaves sur terre ou sur mer, la traite existe encore, forcée sans doute de prendre des voies obliques, de mettre un masque pour tromper la surveillance, mais se pratiquant encore sur une grande échelle. Et la cause de la persistance de ce fléau invétéré est simple : c’est qu’il y a encore des marchés d’esclaves en pays musulman : au Maroc, à Tripoli, à Mascate et, faut-il l’avouer, dans les îles portugaises de San-Thomé et de Principe[1] ? Or tant qu’il y aura des acheteurs d’esclaves, il se trouvera des vendeurs, pour se pourvoir de marchandise humaine, dans ce grand et inépuisable entrepôt, qui s’appelle le Soudan et le centre oriental de l’Afrique. On connaît les routes suivies par les traitans, qui sont en général des Arabes, mais souvent des métis portugais, plus cruels encore. Un missionnaire, agent de la mission Arnot au centre africain, dans un voyage effectué, en juillet 1902, de Bihé (Benguela oriental) vers l’Ouest, en rencontra à Peho, sur le territoire de l’Etat libre du Congo : « Il y a ici, écrivait-il le 20 juillet, six caravanes d’esclaves, chacune ayant à sa tête un chef, portant le drapeau portugais et poussant, comme un troupeau, des nègres attachés l’un à l’autre. Non seulement, c’est un triste spectacle de voir ces esclaves liés au moyen de courroies de cuir, par escouades de cinq ou six et chacun portant sur son dos des charges d’ivoire ou de caoutchouc ; mais, chose plus affreuse, la variole a éclaté parmi eux et les décime. Les gens de Bihé cachent leurs morts dans le campement, plusieurs de ces derniers portent des blessures de balles reçues pendant l’expédition et une pauvre fille de Bihé est devenue folle, à la suite des horreurs dont elle a été témoin[2]. »

Ce sera l’éternel honneur des missionnaires chrétiens, d’un

  1. Anti-Slavery reporter, juin et nov. 1902.
  2. Anti-Slavevy reporter, janvier 1901.