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le fait même qu’ils affranchissent les âmes des terreurs de la superstition ou du joug des passions en leur annonçant la « bonne nouvelle » du pardon, de la consolation et de l’espérance. Par cette éducation morale et religieuse, par ces vertus, qu’ils prêchent en général d’exemple, nos modernes apôtres forment des caractères virils, des hommes parfois remarquables, en tout cas supérieurs à la masse des païens indigènes.

En fait de spécimens, nous n’avons que l’embarras du choix. Pour prévenir le reproche de partialité, nous les emprunterons à des récits de voyageurs laïques. R. L. Stevenson nous dit[1]qu’il rencontra dans les îles Gilbert un Hawaïen, nommé Maka, qui se consacrait avec une grande abnégation à l’évangélisation des indigènes, dans cet archipel situé à 2 000 lieues de sa patrie. « C’était, dit-il, le meilleur type de héros chrétien que j’aie trouvé. Il alliait un caractère sérieux à une ardente énergie, qui brillait dans le feu de son regard. A le voir touchant à peine du bout de son fouet son cheval poussif ou soufflant avec persévérance un feu près de s’éteindre, on prenait de cet homme une leçon de courage et de persévérance. » Or, les ancêtres de ce Maka avaient été sans doute, il y a deux ou trois générations, des cannibales. Quant aux femmes, nous pourrions citer plusieurs de ces dames japonaises dont on vient de parler et des Chinoises, qui, émancipées de la réclusion dégradante où les maintenaient d’antiques traditions et relevées par la foi chrétienne, ont fait preuve des vertus les plus hautes. Mais elles ne paraissent pas encore à la hauteur de cette Ramabaï, fille d’un brahmane, qui naquit dans un ermitage forestier des Ghâts de l’Ouest, où son père s’était retiré avec sa femme (1858), et ne reçut d’abord d’autre livre de lecture que les Védas, dans le texte sanscrit. Elle fut mariée jeune suivant l’usage hindou ; devenue veuve, au bout de dix-neuf mois, elle compléta son éducation auprès des missionnaires, se fit chrétienne, et voyagea en Angleterre et en Amérique. Depuis, elle s’est fixée à Pouna et, tout en gardant certains traits distinctifs de sa caste, elle a fondé un asile pour veuves, et consacré toutes ses forces et son talent de conférencière à faire améliorer la condition des veuves, des pauvres recluses du zenana ou à donner des conseils judicieux pour l’éducation des jeunes filles[2].

  1. R. -L. Stevenson, In the South-Seas, p. 230.
  2. Voyez Pundila Ramabaï Saravasti. The high caste hinduwoman, Philadelphie, 1887, et aussi Dennis, ouvrage cité, II, p. 244 et suivantes.