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Moi-même, le sein nu, frissonnant de fraîcheur,
Joyeux de me sentir avec l’aube renaître,
Je m’assieds à la table où m’attend mon labeur,
La tête entre les deux vantaux de la fenêtre.

Ah ! l’outil, quel qu’il soit, honore l’ouvrier !
Tandis que le marteau voltige sur l’enclume,
J’écris, et, du feuillet au cœur de l’encrier,
Mes doigts font cheminer pensivement la plume.

Le forgeron robuste, affermi sur les reins,
Se cambre en contractant les muscles de son torse.
Il bat le fer avec des gestes souverains,
Et je goûte à le voir l’ivresse de la force.

« Compagnon, nos travaux, il est vrai, sont divers ;
Pourtant, quoique le tien où j’assiste m’ignore,
Il m’instruit à pétrir sans relâche mes vers,
Et les cadence au gré de son rythme sonore. »

Ainsi dis-je, et pendant que le son du métal
Aux strophes que j’assemble enseigne leur mesure,
La lumière gravit le ciel oriental,
Et, ma vitre riante à mes côtés s’azure.


XI


Le temps n’a point pâli ta souveraine image :
Telle qu’un jour d’été, jadis, tu m’apparus,
Debout, battant du linge au bord d’un sarcophage
Je te revois, fille aux bras nus.

C’est dans une prairie où la chaleur frissonne,
Où, comme un brasier vert, l’herbe s’incline au vent.
Un platane robuste à la belle couronne
T’abrite du soleil brûlant.

Je t’observe à travers les branches d’une haie
Sur l’auge de granit tu presses tes genoux.
Du bruit de ton battoir l’écho prochain s’égaie,
Et l’eau rejaillit sous tes coups.