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voyage de Paris. Il s’était donc fixé à Versailles même ; il y avait acheté un hôtel, et, quand le mal lui laissait quelque répit, il se faisait traîner dans un fauteuil roulant jusqu’au Sénat. S’il ne pouvait pénétrer dans la salle des séances, il s’arrêtait dans la galerie des bustes ; on faisait cercle autour de lui, on l’interrogeait sur les questions du jour, on écoutait attentivement ses avis.

Ce rôle de politique consultant l’intéressait vivement et lui rendait pour un instant l’illusion de l’activité qu’il ne connaissait plus. Mais il ne pouvait faire davantage. Après le 16 Mai, auquel il s’était montré hostile, les membres du nouveau cabinet choisi par le maréchal de Mac Mahon ayant témoigné le désir de le voir siéger parmi eux, le maréchal lui offrit le portefeuille de l’Agriculture et du Commerce. Lavergne lui fit répondre qu’il était grandement honoré de son choix, mais que l’état de sa santé ne lui permettait pas d’accepter des fonctions militantes.

Cependant ses forces déclinaient sans que sa belle intelligence ait faibli un seul jour. Il vit venir la mort avec la sérénité d’un philosophe et la résignation d’un chrétien. A vrai dire, elle était pour lui une délivrance ; elle mettait un terme à des souffrances intolérables que nul espoir de guérison ne pouvait conjurer. Il succomba le 19 janvier 1880. N’ayant point d’enfant, il crut pouvoir disposer d’une partie de sa fortune au profit des institutions agricoles dont il était membre.

Il fit des legs importans à la Société nationale d’agriculture et à la Société des Agriculteurs de France, et un don magnifique au département de la Creuse, en souvenir de l’élection spontanée dont il avait été l’objet.

Quelque temps après sa mort, un comité se réunit sous la présidence de J. -B. Dumas, le grand chimiste, et, après lui, de Léon Say, afin d’honorer sa mémoire en lui élevant un monument. Les souscriptions recueillies permirent l’érection d’une statue dont l’exécution fut confiée aux mains d’un sculpteur de grand mérite, Alfred Lanson. Quand l’œuvre fut achevée, on se demanda où on la placerait. Le lieu tout naturellement indiqué pour recevoir l’image du grand économiste était Guéret, le chef-lieu du département où Lavergne avait passé ses années les plus fécondes, qu’il avait représenté à l’Assemblée nationale et qu’il avait enrichi de ses bienfaits. Mais c’était compter sans les préjugés du radicalisme. Le Conseil municipal de Guéret refusa le don qui lui était offert sous le prétexte que