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il avait la conscience que son labeur devait être utile aux hommes ; la vie studieuse et solitaire qu’il allait mener réjouissait sa belle âme, bien vite déprise des agitations mesquines de la politique et des luttes stériles de l’ambition. C’est le sentiment qu’il a exprimé en termes éloquens dans la préface de son Economie rurale en Angleterre : « Je m’adresse surtout, disait-il, à ceux qui, comme moi, se sont tournés vers la vie rurale, après avoir essayé d’autres carrières, et par dégoût des révolutions de notre temps. Au sein de la nature qui ne change pas, ils trouveront ce qu’ils cherchent, l’activité dans le calme et l’indépendance par le travail. » Il avait d’abord songé à publier son cours d’économie rurale professé à l’Institut agronomique. Un autre dessein, dès longtemps arrêté dans son esprit, modifia ses résolutions, et depuis, à travers les nombreuses études auxquelles il s’est livré, il n’a pas trouvé le temps de réaliser cette publication. Le monde agricole y a perdu assurément, bien qu’en échange Lavergne lui ait donné un livre qui, en son genre, est un chef-d’œuvre ; je veux parler de l’Economie rurale en Angleterre, en Écosse et en Irlande.

Frappé de la supériorité de l’agriculture anglaise, Lavergne avait voulu l’étudier sur place. Dans l’été de 1851, après avoir visité la première Exposition universelle inaugurée à Londres, il fit en Angleterre un séjour prolongé. Il avait la bonne fortune d’avoir pour compagnon de route, indépendamment de son beau-frère M. Fossin, son ami Ampère. En cette aimable et docte compagnie, Lavergne entreprit de visiter les grandes exploitations rurales du Royaume-Uni. Il y consacra plusieurs mois, étudiant avec un soin scrupuleux tous les élémens de la richesse agricole du pays, les conditions du sol et du climat, les races d’animaux, les méthodes de culture, négligeant pour la ferme le château où d’aimables instances cherchaient à le retenir. Puis, quand son butin fut recueilli, il songea à regagner la France ; mais, en cette conjoncture, l’un de ses compagnons lui fit défaut.

Ampère s’embarquait pour New-York, d’où il devait rapporter le charmant récit qu’il a publié sous le titre de Promenade en Amérique. A son retour, il racontait une plaisante méprise des Américains à son sujet. Il avait si bien profité des leçons de Lavergne, et il traitait avec une telle compétence les questions agricoles qu’on s’y était trompé, et qu’on l’avait pris, non pour un académicien en voyage, mais pour un professeur d’agriculture.