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professeur d’économie et de législation rurales à l’Institut agronomique. On put croire, pour expliquer ce résultat inattendu, que son succès était dû surtout à son talent oratoire et que son éloquence avait fasciné le jury. Certains se demandaient si le fond répondrait à l’éclat de la forme, et ce que seraient les leçons de ce savant improvisé. Elles furent absolument remarquables. Le cours de Lavergne fut un des plus suivis de l’Institut agronomique. Il groupait autour de lui, en même temps que les élèves de l’école, tous avides de l’entendre, un grand nombre de personnes venues du dehors. Lavergne avait au plus haut degré les deux qualités essentielles de l’enseignement : la clarté et le charme. Les esprits les plus étrangers aux choses de l’agriculture étaient tout d’abord émerveillés de la facilité avec laquelle il les faisait pénétrer dans les arcanes de cette science, jusqu’alors fermée pour eux. Les détails techniques, présentés avec art, perdaient leur aridité, et, tout en demeurant pratique, le professeur faisait envisager l’agriculture sous ses aspects les plus élevés d’utilité sociale et de richesse publique. Çà et là, des anecdotes piquantes, des traits spirituels réveillaient l’attention de l’auditoire, et, la leçon finie, on se disait qu’elle n’eût point été déplacée à la Sorbonne ou au Collège de France.

Lavergne professa à l’Institut agronomique pendant deux ans, de 1850 à 1852. Un événement inattendu vint brusquement mettre fin à son enseignement.

Il était à Peyrusse, lorsqu’il apprit par le Moniteur universel la suppression de l’Institut agronomique. Un préjugé répandu à cette époque dans les sphères officielles contre l’application de la science à l’agriculture avait décidé sans autre forme de procès, sans discussion, sans enquête, par un simple trait de plume, la destruction de la grande école dont l’agriculture se promettait les plus heureux résultats. Pour la seconde fois, la carrière de Lavergne était brisée. Le professorat, où il avait déjà obtenu de si beaux succès, lui était fermé. Avec la douce philosophie qui ne le quittait jamais, il disait, en riant, qu’en supprimant l’Institut agronomique, on avait pourvu au sort des animaux répartis dans les fermes modèles, mais qu’on n’avait pas songé aux professeurs.

Sa constance ne fut pas ébranlée par ce coup imprévu.

Il s’était ouvert une voie nouvelle, dans laquelle il entrevoyait une série pour ainsi dire indéfinie d’études attrayantes et fortes ;