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veuve de M. Eugène Persil, le fils de l’ancien Garde des sceaux, substitut du Procureur général à la Cour royale de Paris.

À cette époque, la loi permettait le cumul des fonctions publiques avec un mandat électif. Donc, en 1846, Lavergne posait à nouveau sa candidature dans le Gers, et cette fois il l’emportait sur son ancien concurrent. Il avait trente-sept ans. La carrière s’ouvrait devant lui brillante et, semblait-il, assurée. Ami particulier du premier ministre, confident de ses desseins, au point qu’un député de l’opposition, en lui répondant à la tribune, pourra dire que la Chambre venait d’entendre, sinon la parole, au moins la pensée du chef du gouvernement, Lavergne était, aux yeux de tous, promis aux plus hautes destinées. Lui-même avait foi dans l’avenir du régime auquel il s’était dévoué Il voyait dans la monarchie constitutionnelle, loyalement pratiquée, le port où le pays pourrait se reposer après tant d’orages.

Nouveau venu dans la Chambre, le député du Gers avait trop de tact pour se mêler inconsidérément aux grands débats qui se déroulaient avec tant d’éclat sous les yeux de la France attentive. Toutefois il prit part à la discussion sur les mariages espagnols. Il parut à la tribune pour soutenir la politique du gouvernement et, en quelque sorte, en qualité de lieutenant de M. Guizot. Son discours, écouté avec faveur, présageait un orateur. Il se recommandait par la clarté, la vigueur de l’argumentation, jointes à la facilité et à l’élégance de la parole.

Le succès du ministère fut éclatant. Il donnait un sanglant démenti à la thèse favorite de l’opposition, accusant le gouvernement de Juillet de se mettre aux genoux de l’Angleterre. L’Angleterre était battue et ne cachait pas son ressentiment. Lavergne saisit l’occasion de ce triomphe diplomatique pour faire auprès de M. Guizot une démarche qui mérite d’être notée ; il lui conseilla de se retirer.

« Vos adversaires, lui dit-il, visent surtout votre place, c’est le pouvoir qu’ils veulent ; ils en sont écartés depuis longtemps ; ils ne feront pas mieux que vous ; je crois même qu’ils feront moins bien, et dans six mois, dans un an, après cette abdication volontaire, vous reviendrez avec le prestige du désintéressement. » Le grand ministre ne crut pas devoir écouter cet avis, dicté par une singulière clairvoyance et par une connaissance profonde du caractère français, ami du changement. S’il eût suivi le conseil