Page:Revue des Deux Mondes - 1904 - tome 20.djvu/849

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

notes plus ou moins aigres et à des démonstrations plus ou moins guerrières. Un coup de canon coûte si cher, que dans l’état financier de l’Europe, on ne peut se donner que bien difficilement cette jouissance. Je doute que lord Palmerston persuade au Parlement de voter des subsides extraordinaires, et la Prusse et l’Autriche n’ont pas d’argent à jeter par les fenêtres.

J’ai trouvé le discours de la reine Victoria assez rassurant au fond. Ici, on est fort belliqueux. Les Basques sont un peuple ami des coups et du tapage. Vous aurez ici une excellente garde nationale qui se donnerait bien un coup de peigne au besoin, mais qui vous demandera la réforme électorale pour la peine.

Presque partout ailleurs, elle ne serait pas pour le coup de peigne, mais bien pour la réforme. La correspondance anacréontique de Soliman pacha avec le commodore Napier m’a fort amusé. Les variations du premier sur l’air « Allez-vous faire f… » ont seulement le tort de n’être pas écrites en français, mais, par le temps qui court, c’est un léger malheur. A propos de français, je vous plains sincèrement d’avoir été massacré par les compositeurs. Il y a quelques années, lorsque j’avais encore la peau plus sensible, j’en aurais été malade pendant trois jours. Depuis, j’ai trouvé ce remède, c’est de corriger sur mon exemplaire, et vous verrez par expérience que cela tranquillise beaucoup.

L’affaire mirobolante du petit Napoléon est tout ce qu’il y a de plus propre à donner de nous une bonne idée en Europe. L’autre moutard, s’il venait en Vendée (avec un pot de lys, pour imiter l’aigle vivant de son collègue), ferait tirer plus d’un coup de fusil. On blâme la Chambre des Pairs et la clause impérative paraît hardie. Je ne la crois pas mal imaginée, et j’en juge par le général X… et le marquis Z…, deux fiers paresseux qui graissent leurs bottes en ce moment.

Adieu, mon cher ami, je pars demain avec un courrier d’ambassade. Si l’on m’occit, ce qui est peu probable, obligez-moi d’abord de faire déclarer la guerre à l’Espagne, puis d’écrire ma notice biographique dans la Revue des Deux Mondes, ou bien d’en confier la rédaction à Mme Sand. Écrivez-moi des nouvelles remplies d’intérêt ; à leur défaut, des réflexions doctes et profondes, les samedis, et envoyez votre lettre par les Affaires étrangères à l’Ambassade de France.

Probablement, je serai de retour à Bayonne vers le 20 septembre et, peu après, je viendrai imprimer la Guerre Sociale à Paris.

PROSPER MERIMEE.


À cette époque, les Beaux-Arts dépendaient du ministère de l’Intérieur. Sa fonction de chef de cabinet du ministre mettait