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S’il vient, il y aura grand tapage, mais au fond rien de bien sérieux. Je crois que les gardes nationales des villes et la gendarmerie suffiraient pour mettre à la raison les paysans du Bocage. Les routes sont si nombreuses et si belles qu’on ne peut plus faire dans la Vendée la guerre à la Walter Scott.

Mais il y a encore trop de gens qui ont échangé des coups de fusil, qui ont été pillés ou condamnés à mort, pour qu’il ne soit pas très facile de leur persuader de recommencer.

J’ai vu, au reste, à Niort un assez curieux miracle opéré par l’archéologie. Elle est à la mode dans ce vilain trou-là, et bleus et blancs s’entre-lisent des mémoires sur des tumulus, au lieu de s’entre-assassiner. Je me suis trouvé en relations avec trois sociétaires : un républicain, un carliste amnistié, et un juste milieu. Les deux premiers avaient habité, en qualité de détenus, le château de Niort, bâti par Richard Cœur de Lion. Le troisième étant juré, avait condamné à mort, je crois, le carliste. Tous les trois, archéologues ou soi-disant tels, étaient en bons termes ensemble, et peut-être ne se battront-ils plus. Dans les campagnes, on est toujours comme aux beaux temps de la guerre ; les gens y ont la bosse de la combativité et l’on s’exècre de village à village par suite de traditions qui remontent peut-être à la conjuration d’Amboise.

Vous seriez bien aimable, mon cher ami, de me donner quelques nouvelles et quelques réflexions doctes et profondes, comme vous en faites, sur la situation. Il me semble que, sous notre beau feu, sous la blague de nos exaltés, se cache une certaine frayeur. Si nous devons être seuls contre tous, nous sommes fricassés, et vous serez pendu l’année prochaine.

Nous avons pour nous notre furie française et nos souvenirs qui sont imposans. Jusqu’à quel point nous défendront-ils ? Comment faire la guerre, avec des journaux qui conspirent en permanence ? Comment la faire, avec les Chambres ? et les émeutes que vous aurez dans toutes les villes manufacturières ? Il y a ici 8 000 hommes qui vivent du port, et qui ne vivront plus s’il est bloqué. A Lyon, ce sera bien pis. Je ne vois de bon, là-dedans, qu’une magnifique occasion de quitter l’Algérie et de mettre en face des Prussiens 20 000 chenapans, zéphyrs, zouaves et autres, qui feraient merveille.

On me dit que vous encombrez décidément la coupole des Invalides. Mais, si les cendres étaient empoignées au passage, ce serait une drôle de solution.

Je pars demain pour Bayonne, mais, comme je m’arrêterai sur la route, j’aurai le temps d’y recevoir une lettre de vous avant de passer les Pyrénées, ce que je compte faire si la route de Madrid est bonne, ainsi qu’on me le dit ici.