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Je crains les pianoteurs ; je crains les artistes ambulans ; je crains le théâtre ; je crains les succès ; je crains tout pour Mlle Honorine. Si sa vie tombe comme l’eau de sa cascade, je gémirai de loin en sûreté sous mes cheveux blancs ; mais vous, que ferez-vous ?

Adieu, Monsieur, croyez à tout mon attachement et revenez-nous.

CHATEAUBRIAND.


On voit par cette correspondance quelle place tenait Lavergne dans ce que Chateaubriand appelle la petite société de l’Abbaye-au-Bois.

Avec Mérimée, la correspondance change d’allure, le ton devient plus familier, plus libre. Il était assez rapproché d’âge de Lavergne ; entre jeunes gens, on ne se gêne pas pour dire ce qu’on pense. Mérimée se montre d’ailleurs, dans ces lettres, très occupé par sa fonction d’inspecteur des monumens historiques et très féru d’archéologie. Et toutefois, même dans cette matière, en quelque sorte technique, l’ironiste ne désarme pas.


J’aurais répondu plutôt (sic) à votre aimable lettre, Monsieur, si M. Royer-Collard ne m’avait prévenu. Il parait qu’il manque une facture, pièce indispensable pour payer. Vous savez comme on est formaliste dans la comptabilité ministérielle. La facture arrivant, l’argent suivra de près.

Je passe maintenant ma vie à enrager de ne pouvoir obtenir rien de ce que j’ai demandé pour mes masures. On me promet, on m’ajourne et on ne signe jamais. Quelle admirable invention que celle des sous-secrétaires d’État ! On dit que nos députés commencent à les regretter. Pour moi, à quelques exceptions près, je suis aussi avancé qu’il y a deux mois, et entre autres arriérés, j’attends encore mes frais de route. Il est vrai qu’on a tant de choses à faire que ce serait miracle qu’on pensât à de vieilles églises et à leur malheureux avocat. On parle d’un cent-et-unième remaniement d’hommes et de choses, du remplacement du duc de Trévise, dont je me soucierais peu, de celui de M. Guizot, ce qui me déplairait fort. Il vient de nommer une commission historico-artistique, dont je suis membre, et qui doit fourrager et faire fourrager les bibliothèques pour en faire sortir les manuscrits philosophiques, littéraires, etc.

Nous voulons aussi entreprendre un petit travail qui sera tout bonnement le catalogue de tous les monumens et de toutes les antiquités de la France. J’estime que nous en serons quittes avec deux cent cinquante ans de recherches et neuf cents volumes de planches. Le