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chanter à ma prière avec une si gracieuse complaisance. Remerciez un million de fois Honorine et Cécile. Venez vite à Paris, Monsieur, achever avec moi l’amitié que vous m’avez permis de commencer. Je vous laisserai en chemin, car le passager abordera bientôt la dernière rive. Mais tandis qu’il vivra, il vous sera toujours dévoué.

CHATEAUBRIAND.


Pilorge présente à Madame votre mère ainsi qu’à vous, Monsieur, ses respects et ses civilités d’usage, c’est-à-dire de Bas-Breton.

La lettre ne contient malheureusement pas le couplet, « fils de la nuit, de la poussière et du vent, » adressé à la « Philomèle des Pyrénées ; » il avait été sans doute, dès sa réception, triomphalement placé dans l’album auquel il était destiné.


Paris, 6 août 1838.

Je relis, Monsieur, en arrivant à Paris, la bonne, aimable et longue lettre que j’ai reçue de vous en courant les chemins de votre admirable Languedoc. Quoi ! vous auriez accepté une place dans ma pauvre calèche ? Que ne parliez-vous ? Combien j’aurais été heureux ! Mais pourtant le temps ne nous aurait-il pas manqué ? Je n’ai pu voir ni Saint-Rémy, ni Saint-Gilles. J’ai vu « Aiguës-Mortes, merveille du XIIIe siècle, laissée tout entière sur vos rivages.

J’ai aperçu La Camargue qui, seule, mériterait un voyage exprès et où l’on retrouverait des villes oubliées. Enfin, que voulez-vous, j’ai couru, j’ai passé vite. Ne vaut-il pas mieux avoir laissé derrière moi quelques regrets que la fatigue de ma personne ? Je ne voudrais pour rien au monde avoir causé de l’ennui à Mlles Cécile et Honorine.

J’ai vu hier, un moment, Mme Récamier et M. Ballanche. Vous avez bien voulu leur écrire ; ils sont charmés de vous ; ils voudraient vous voir à Paris. M. B… est à la campagne ; j’irai déjeuner chez lui un de ces jours pour lui parler de vous comme vous le méritez, et je ne sais ce que je ne donnerais pas pour que quelque chose de convenable pût vous amener à Paris. J’aurai l’honneur de vous écrire aussitôt que je saurai ce qu’il y a de possible.

J’ai terminé ma course par le golfe Juan ; j’y suis arrivé la nuit. Vous jugez ce que devaient être pour moi cette mer solitaire et silencieuse, cette nuit, ce ciel ; j’avais devant moi ces îles de Lerins où la civilisation chrétienne a commencé, et je foulais cette grève où Bonaparte a imprimé son dernier pas.

Tous mes respects, je vous prie, à Madame votre mère ; mes