Page:Revue des Deux Mondes - 1904 - tome 20.djvu/821

Cette page a été validée par deux contributeurs.
815
l’amérique française.

dans le procédé. Les dépenses de la Louisiane étaient supportées par la vice-royauté du Mexique ; elles atteignirent, en tout, près de soixante millions de livres. Un commerce clandestin et assez peu surveillé avec les États-Unis enrichissait les habitans, qui, payant d’ailleurs peu d’impôts, se trouvèrent assez contens de leur sort. Leur principal motif de satisfaction venait toutefois de ce que l’on ne contrariait aucune de leurs habitudes ou de leurs idées françaises. S’il en avait été autrement, les bienfaits de l’Espagne, quoiqu’ils formassent avec les mauvais procédés de la France un fâcheux contraste, n’eussent pas suffi à faire accepter son drapeau. Et n’est-il pas curieux de constater qu’aujourd’hui même, après cent années d’incorporation à la république des États-Unis, la Louisiane a conservé des particularités et des apparences tellement françaises que le voyageur en est surpris dès l’abord ?

Les sentimens des Indiens ne pouvaient avoir la même persistance, mais ils eurent la même vivacité. Bien loin que nous eussions épuisé leur bonne volonté, elle se manifesta à l’heure de la retraite par des effusions touchantes et des offres caractéristiques. Les tribus fidèles se refusèrent longtemps à croire que la fortune des armes eût tourné contre nous ; quand il leur fallut se rendre à l’évidence, elles insistèrent pour nous aider à préparer la revanche et s’affligèrent de notre apathie. Les relations, certes, n’avaient pas toujours été bonnes ; après tout, nous leur prenions leurs « territoires de chasse, » à ces hommes fiers, amoureux de liberté et de vie aventureuse ; et, parmi eux, des révoltes sanglantes avaient parfois éclaté. Enfin, dans l’Ouest inconnu et farouche, se tenaient des peuplades aux instincts cruels dont nos pionniers et nos coureurs des bois suscitaient le courroux en plantant imprudemment des postes avancés jusque sur les sites de leurs campemens préférés. Ainsi s’expliquent des épisodes comme la destruction du fort d’Orléans et le massacre de sa garnison. Mais ces faits isolés n’infirment nullement la réalité de l’action et de l’influence pacificatrices exercées par les Français sur la race rouge. Que cette race fût perfectible, on n’en saurait douter. Ayant produit un Pontiak, elle en pouvait produire d’autres. Pontiak, dans un genre inférieur, représenta pour les Indiens ce que Booker Washington représente aujourd’hui pour les nègres : non point une anomalie, mais une espérance. De tels hommes sont des précurseurs, non des exceptions. Très tardi-