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aux porteurs. La conversion de ces billets en lettres de change se faisait d’une façon très lente et très irrégulière, et il n’est pas besoin d’insister sur les multiples inconvéniens qui en résultaient pour tout le monde, pour le Trésor comme pour les particuliers. Cependant, et quoique la Louisiane ait ainsi manqué de population, de numéraire et de crédit, elle prospéra. À la veille du jour où la France en fit l’abandon à l’Espagne, elle produisait pour près de 500 000 livres d’indigo, pour 250 000 livres de pelleteries, pour 50 000 de cire, de suif et d’huile, enfin pour 3 600 000 livres de tabac. Depuis huit ans, son mouvement commercial venait d’augmenter de près de six millions de livres, de sorte que l’on pouvait dire avec Redon de Rassac, qu’en vingt années, il serait loisible de lui faire « fournir plus de denrées et procurer plus d’utilité que la Martinique, Saint-Domingue et toutes les autres colonies ensemble du royaume. »

Mais, encore une fois, ce n’est pas cette prospérité naissante qui mérite de fixer l’attention comme une chose exceptionnelle ou extraordinaire, c’est bien plutôt la force incomparable des racines poussées par la domination française dans ce sol lointain. Nous savions, par des témoignages nombreux et irrécusables, que nos nationaux avaient suscité de vives sympathies parmi les peuplades indiennes de l’Amérique du Nord et que, d’autre part, les créoles de la Louisiane, comme les chasseurs canadiens, avaient pleuré nos défaites et gardé le culte de notre drapeau. Mais nous sommes-nous jamais doutés à quel point cela était vrai ? En définitive, la France n’a occupé la Louisiane qu’une soixantaine d’années. C’est le 14 mars 1682 que Cavelier de la Salle prit solennellement possession, au nom du roi de France, d’un pays qui était apparemment baptisé d’avance, puisque l’acte fut rédigé par le notaire « commis à exercer la dite fonction pendant le voyage entrepris pour faire la découverte de la Louisiane. » Cette cérémonie se passait au confluent de l’Arkansas et du Mississipi, là où, neuf ans plus tôt, s’étaient arrêtés Louis Joliet et le Père Marquette. L’expédition, ayant atteint le 9 avril le golfe du Mexique, en passant devant le site où s’élève aujourd’hui la Nouvelle-Orléans, revint aussitôt sur ses pas et regagna le Canada.

Le siècle s’acheva avant qu’un Français eût revu le poteau solitaire sur lequel étaient inscrits, en dessous des armoiries fleurdelisées, les titres de Louis XIV à la domination de ce royaume sans capitale et sans frontières. Égaré en cherchant, par