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l’amérique française.

l’univers. À quoi tiennent les choses ! Voici que l’ambition d’une ville entreprenante rétablit dans ses contours historiques cette silhouette de l’Amérique française que notre habituelle insouciance avait laissée pâlir d’abord dans nos mémoires et puis, lentement, s’effacer.

On a dit de notre empire asiatique qu’il présentait la figure de ces bâtons flexibles qu’en certains pays les nomades primitifs portent sur l’épaule, et aux deux extrémités desquels ils suspendaient leurs bagages et leurs provisions de route. Le bâton, c’est l’Annam : le Tonkin et la Cochinchine, ce sont les besaces remplies. Sans relever ce que la comparaison a d’injuste pour l’Annam, nous ferons remarquer qu’elle s’applique encore mieux à nos anciennes possessions d’Amérique. Là aussi, il y avait deux lourdes besaces, le Canada et la Louisiane, et un solide bâton, les Illinois ; nous connaissons médiocrement la besace canadienne, très mal la louisianaise ; nous ignorons complètement les Illinois. L’exposition de Saint-Louis est plantée en leur milieu comme pour nous obliger à restaurer dans son intégrité l’image de l’empire disparu. Saisissons l’occasion propice qui nous est offerte ; l’œuvre est faisable ; sous la géographie actuelle, l’ancienne peut transparaître. Ne suit-on pas facilement, à travers le morcellement départemental de la France, l’unité de ses vieilles provinces ? et, de considérer l’Europe moderne avec ses grandes masses agglomérées, cela empêche-t-il de restituer par la pensée l’Europe du moyen âge avec ses complications féodales ?

Il convient de louer M. de Villiers du Terrage pour le zèle et la conscience avec lesquels il a mené à bien la moitié de cette tâche patriotique[1]. Complétant les indications de ses propres papiers de famille par une longue campagne à travers nos archives nationales et départementales, il a mis la main sur une précieuse série de manuscrits révélateurs, dont un grand nombre de cartes et de plans anciens rehaussent encore l’intérêt. Puisse son exemple lui susciter un émule qui suivra le Saint-Laurent comme il a suivi le Mississipi, et dont la science éclairera les profondeurs de l’hinterland canadien comme lui-même a éclairé celles de l’hinterland louisianais ! Alors nous saurons tout. L’épopée, dans son ensemble, nous deviendra familière ; et nous

  1. Les dernières années de la Louisiane française, par le baron Marc de Villiers du Terrage, 1 vol. in-8o orné de 4 cartes et de 64 illustrations. E. Guilmoto, éditeur, 1904, Paris.