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contemporains. Peut-être, d’ailleurs, pour parler comme il faudrait de ces derniers, une éducation préalable ne serait-elle pas moins nécessaire. Si, au lieu de ces panégyriques ou de ces dénigremens à outrance, inspirés par des camaraderies ou des préventions également partiales et trop souvent intéressées, ceux qui s’avisent d’écrire sur les peintres d’aujourd’hui s’étaient préparés à cette tâche par une étude de l’art du passé, peut-être hésiteraient-ils à prôner comme des chefs-d’œuvre des ouvrages d’une nullité absolue et à vouloir forcer notre admiration à l’aide de ces réclames éhontées, humiliantes pour notre pays, que nous avons vues se produire en ces dernières années, véritables défis jetés non seulement au bon goût, mais au bon sens lui-même. En tout cas, ayant à juger des œuvres qui manifestent quelque talent, ils montreraient certainement une appréciation plus équitable de ce qui peut faire leur mérite et leur véritable originalité.


I

Disons tout d’abord qu’avec un goût très vif des choses de l’art, la critique, pour être exercée avec quelque compétence, suppose un égal amour de la nature. Comment juger une œuvre dont la nature a été l’inspiratrice et dans laquelle l’imitation intelligente de la réalité doit jouer un rôle considérable, si l’on ne connaît pas la nature, si l’on n’en voit pas, si l’on n’en sent pas les beautés ? Comment découvrir les côtés qui, en elle, ont frappé l’artiste, la nouveauté des impressions qu’il nous en montre, les traits qu’entre tant d’autres il a choisis, le degré de perfection avec lequel il les a exprimés, si jamais on ne l’a regardée que d’un œil distrait ou indifférent ? C’est dans l’appréciation de ces rapports délicats entre la nature et les interprétations si variées auxquelles elle se prête que se révèle le critique digne de ce nom. Il faut qu’il possède lui-même quelque chose de cette faculté qu’a l’artiste d’être ému par la nature, et par conséquent qu’il fait lui-même observée qu’il se plaise à la diversité de ses spectacles, qu’il en puisse conserver en lui une image assez nette et assez présente pour la comparer aux copies qu’il en verra, et comprendre mieux ainsi ce qu’elles contiennent de vérité et de poésie. Ce goût inné pour la nature, éclairé et fortifié par un commerce constant, doit donc s’allier chez le