Page:Revue des Deux Mondes - 1904 - tome 20.djvu/755

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

conféraient une autorité absolue et dont l’intérêt commun était une garantie de discrétion.

Le passage de la famille royale, connu de Viet dès cinq heures, ne fut donc officiellement su de la municipalité de Châlons, qu’à neuf heures du soir, lors de l’arrivée de Bayon. Pourtant le courrier avait bavardé ; les curieux, témoins du relayage de la berline, n’avaient point caché leurs soupçons ; le maire lui-même, M. Chorez, avisé par « un homme de la ville » et d’abord résolu à garder le silence, puis effrayé de sa responsabilité, s’était décidé à convoquer le corps municipal.

La nuit était presque complète : il était neuf heures ; la carriole où se trouvait Bayon avec le pharmacien Théveny et son prisonnier de Briges, passa les ponts, suivit la rue de Marne jusqu’à la place, et s’arrêta devant le lourd perron de l’Hôtel de Ville. Des gardes nationaux en armes l’accueillirent : il se fit connaître d’eux, leur remit de Briges et monta à la salle des délibérations où les officiers municipaux étaient rassemblés. Tout de suite, il exhibe son ordre et, dans le même instant, le tocsin sonne à Notre-Dame. Tandis que les bourgeois s’ameutent dans les rues, la municipalité décide de dépêcher immédiatement sur la route de Sainte-Menehould un exprès porteur d’une copie authentiquée des pouvoirs de Bayon qui se défend d’aller plus loin sans prendre quelques heures de repos. On court à la poste, on en ramène Viet. Qu’avait-il vu ? Que s’était-il passé au moment du relais ? Afin d’éluder les questions trop précises, le maître de poste montre un grand zèle. Il s’offre à porter lui-même la nouvelle à Sainte-Menehould, on l’acclame : vite une copie est faite du texte dicté par Lafayette. Bayon, au bas, certifie que, « trop fatigué pour se flatter d’atteindre les fugitifs, il remet son message au porteur. » Le pharmacien Théveny atteste, en deux lignes[1], la réalité de la mission et la part — modeste — qu’il y a prise. Le maire signe ; Roze, le procureur général, contresigne et Viet, serrant dans sa poche le précieux papier, sort de l’Hôtel de Ville aux applaudissemens de la foule, court chez lui, enfourche un cheval et se lance à son tour sur la route de Sainte-Menehould. Il était neuf heures et demie. Nul doute que s’il s’est décidé à se charger lui-même d’une si périlleuse et

  1. Deux lignes assez obscures ainsi rédigées : « Je certifie avoir vu le pouvoir de M. Bayon et me suis porté fort d’accompagner la personne que nous amenons. Signé : Théveny, maitre en pharmacie à Châlons. »