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La berline était entrée à Châlons avant quatre heures et demie de l’après-midi, conduite donc, depuis Chaintrix, par Nicolas Viet, qui, en arrivant au relais, rue Saint-Jacques, ne se priva pas, bien certainement, de révéler au maître de poste, qui était son père, la qualité de ces voyageurs. Ce qui explique suffisamment le mot de Madame Royale : « A Châlons, on fut reconnu tout à fait : beaucoup de monde louait Dieu de voir le Roi et faisait des vœux pour sa fuite[1]. » Le père Viet se montra empressé et serviable ; comme des curieux, attroupés autour de la berline, se communiquaient leurs soupçons, comme l’un d’eux avait même couru chez le maire, M. Chorez, pour lui demander d’user de son autorité en exigeant des voyageurs suspects la production de leur passeport, Viet pressa le relayage si activement qu’avant toute décision, la voiture était attelée et partie. Jusque-là, Viet restait irrépréhensible : aussi bon royaliste que Jean de Lagny son collègue de Chaintrix, n’ayant pas à s’informer de l’identité de ses cliens quand ceux-ci payaient régulièrement et se conformaient aux règlemens en vigueur, il avait pu donner à ses sentimens personnels pleine satisfaction, sans aucunement forfaire à son devoir. Cet héroïsme à la Pilate lui a rapporté quelques lignes émues dans l’Histoire des Girondins ; mais Lamartine n’a pas connu tout le rôle de Viet ; les pièces authentiques, quoique

  1. Relation de Madame Royale.