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rendre hommage[1], d’autant plus volontiers que le Dauphin et sa sœur, exténués de fatigue et de chaleur, avaient besoin de soins. Jean de Lagny confia la chose à sa femme qui, tout aussitôt, se mit au service des voyageurs ; il la dit aussi à son gendre, Nicolas Viet, qui était le fils du maître de poste de Châlons.

Tandis que Mme de Lagny s’empressait, Nicolas vaquait au changement de chevaux : il ne voulut laisser à aucun postillon la responsabilité de mener les augustes cliens ; lui-même se mit en selle et quand, les enfans un peu reposés et rafraîchis, la berline s’ébranla dans un échange de saluts, de souhaits, de remerciemens, elle était conduite par ce jeune homme en possession du terrible secret, et qui, plus zélé sans doute que prudent, alla si grand train que, pendant les cinq lieues de route absolument plate, de Chaintrix à Châlons, les chevaux s’abattirent deux fois.

Il est probable que, la berline partie, — vers trois heures et demie, — Jean de Lagny fut discret ; néanmoins il était bien improbable qu’une si étonnante aventure ne s’ébruitât pas quelque peu parmi les palefreniers témoins du relayage. La famille royale avait quitté la porte de Chaintrix depuis plus d’une heure quand s’y présenta à son tour, venant d’Etoges, ce comte de linges dont le passage à Meaux avait été signalé. Il portait l’uniforme des dragons. Il demanda un cheval pour Châlons, et comme l’auberge était à la poste[2], il s’installa pour dîner. Dans la salle à manger se trouvait un autre voyageur : c’était un nommé Théveny, maître en pharmacie à Châlons.

De Briges terminait son repas, quand un nouveau cavalier parut devant la porte et descendit de cheval : il était environ six heures moins le quart. L’homme paraissait fourbu : c’était Bayon : il s’informa aussitôt de la berline qu’il poursuivait. Jean de Lagny la lui décrivit, donna le signalement des voyageurs, sans dire pourtant, — dans la crainte qu’on lui reprochât de ne les avoir point arrêtés, — qu’il les avait reconnus. Le récit de

  1. « Pour comble de malheur, les chevaux de la voiture du Roi s’abattirent deux fois, entre Nintré (c’est Chaintrix, le nom a été mal lu sur le manuscrit) et Châlons ; tous les traits cassèrent et nous perdîmes plus d’une heure à réparer ce désastre. » Mémoires de Madame de Tourzel — « La voiture fut accrochée à un pont avant Châlons ce qui fit casser quelques traits, mais ils furent raccommodés en moins d’une demi-heure. » Relation de M. Deslon, dans Bouillé.
  2. Itinéraire complet du royaume de France. Route de Paris à Châlons-sur-Marne.