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cahotés[1] ! » Fournier, pris d’une peur instinctive, « s’était retiré pour se rendre à son ouvrage. »

Ainsi les voyageurs avaient laissé partout trace de leur passage : à Claye même on affirmait qu’ils étaient, depuis le matin, retenus à Meaux ; d’autres disaient qu’on les avait arrêtés à Senlis ; mais le premier de ces bruits avait pris tant de consistance qu’en approchant de Meaux. Romeuf s’attendait à trouver là les fugitifs. Il y arriva bien avant quatre heures, ayant fait onze lieues en deux heures et demie. À la poste, place Saint-Étienne, grande animation ; mais nul autre indice du passage de la famille royale, que l’annonce de sa fuite qu’avait apportée Bayon, passé vers les deux heures et demie ; il avait, au nom du commandant général, réquisitionné trois chevaux — un pour lui, l’autre pour le postillon qui l’accompagnait depuis Paris, le troisième pour le monteur chargé de ramener les bêtes[2]et il avait poursuivi aussitôt sa route vers Châlons, conservant ainsi plus d’une heure d’avance sur Romeuf. Petit, le maître de poste, se souvenait bien, maintenant, d’avoir fourni, le matin vers cinq heures, onze chevaux, pour une grosse berline venant de Paris, accompagnée d’un cabriolet et de deux courriers, mais rien d’anormal n’avait signalé ce relayage. Plus tard, deux heures environ avant le passage de Bayon, un cavalier qui paraissait très pressé s’était présenté, monté sur un superbe cheval appelé l’Argentin et suivi d’un palefrenier : il avait laissé à Meaux cheval et domestique et avait continué sa route seul, sur un bidet de poste. Romeuf, tandis qu’on bridait son cheval frais, s’enquit de ce palefrenier et se le fit amener ; l’homme s’appelait Duchesne, il était attaché

  1. C’était là le terme consacré. — « Aux environs de Paris les chemins sont pavés, et comme les postillons vont fort vite, les voitures et les chaises s’en trouvent fort mal. C’est pourquoi, si le temps le permet, il faut recommander aux postillons « d’aller par terre », c’est-à-dire sur les chemins non pavés qui sont à côté des chaussées. » Guide du voyageur en Europe, par Reichard-Weimar, 1805, tome II, p. 157. France, manière de voyager.
  2. Bayon sur sa route réquisitionnait les chevaux. Ceci ressort d’un État des chevaux fournis pour la ville de Paris au départ du Roi par moi, Petit, maître de postes de Meaux, en juin 1791. — « Le 21. Trois chevaux pour Monsieur le commandant du bataillon de Saint-Germain-des-Prés portant un ordre de Monsieur de Lafayette et de la ville, allant à Saint-Jean. Une poste 1/2, 5l 12s 6d, guide du postillon à 1l par poste, 1l 10s. »

    Des états similaires furent fournis par le maître de poste de Claye. Là, comme à Meaux, on peut constater, par la dépense restée impayée, le passage de Bayon, — celui de Romeuf n’a laissé aucune trace ; c’est, bien certainement, parce qu’il soldait la poste à chaque relais, comme les voyageurs ordinaires.