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dans ce moment-ci. » Mais l’attention est autre part : il est congratulé, encouragé, fêté ; on lui remet copie du décret de poursuite et, pour qu’il puisse, sans nouvelle malencontre, traverser Paris, franchir la barrière et continuer sa mission, l’Assemblée lui adjoint deux de ses membres, La Tour-Maubourg et Biauzat, qui sortent de la salle avec lui, précédés d’un huissier.

La foule s’écarte ; il passe. Ses chaperons ne regagnèrent l’Assemblée qu’après l’avoir remis au commandant du poste de la barrière Saint-Denis. Romeuf allait, de là, gagner le Bourget, et suivre la route de Soissons et de Laon[1]quand un marchand d’herbes de Claye, dont la charrette stationnait devant le bâtiment de la barrière, se mit à raconter que, se dirigeant vers Paris la nuit précédente, il avait rencontré sur la route, vers trois heures du matin « une berline à six chevaux et un cabriolet à trois. » Cette indication, assez vague, n’aurait pas suffi sans doute, à détourner Romeuf de la route qu’il allait suivre, si, au moment précis où il montait à cheval, un particulier, arrivant de l’Hôtel de Ville, n’eût ajouté qu’une commission de la municipalité, en permanence aux Tuileries, venait de recevoir la déclaration d’un jeune postillon, nommé Pierre Lebas, employé chez son oncle, loueur de carrosses rue des Champs-Elysées.

Pierre Lebas avait conté que deux inconnus, ayant commandé le 20, à deux heures, trois chevaux pour aller à Claye dans la

  1. Dans la Relation du départ de Louis XVI, par M. le duc de Choiseul, cet important incident est raconté de façon inexacte. Voici le texte : « M. de Romeuf avait été envoyé par M. de Lafayette sur la route de Valenciennes, pour chercher la trace du Roi. Arrivé à la barrière qui mène au Bourget, les groupes qui y étaient rassemblés se saisirent de lui et sa vie fut menacée. Il obtint qu’ils le conduisissent à l’Assemblée pour s’assurer eux-mêmes de la vérité de sa mission. Au moment où ils y arrivaient, on recevait au bureau du président la déclaration d’un marchand d’herbes de Claye qui disait avoir rencontré, entre deux et trois heures du matin, entre Bondy et Claye une berline à six chevaux et un cabriolet à trois. Sur cette déposition, le président changea lui-même l’itinéraire de M. de Romeuf, lui remit le décret de l’Assemblée qui ordonnait l’arrestation… et le dépêcha sur la route de Châlons. » Choiseul, p. 102.
    Or, ce n’est pas à la barrière, comme le dit Weber (Mémoires) et comme l’a répété Choiseul, que Romeuf fut arrêté par la foule, mais, comme on l’a vu, au pont Louis XVI (de la Concorde). Ce n’est pas à l’Assemblée que le marchand d’herbes fit sa déclaration, il ne fut même pas entendu par la commission permanente de la municipalité. En outre, ce marchand d’herbes ne pouvait pas avoir rencontré entre Claye et Bondy la berline et le cabriolet, puisque c’est à Claye seulement qu’attendait le cabriolet. La berline lit seule la route de Bondy à Claye.
    Nous mentionnons cependant le témoignage du marchand d’herbes, parce que c’est une tradition qu’on retrouve dans bien des récits ; mais authentiquement, le premier indice de la route prise par le fugitif, fut fourni, ainsi qu’on va le voir, par le postillon Pierre Lebas, à la commission permanente des Tuileries.