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quelques voix d’énergumènes, clamaient, sans écho : — « Plus de roi ! Vive l’Assemblée ! »


L’Assemblée, elle, était terriblement embarrassée. Au point de vue constitutionnel, la situation était inextricable.

La séance s’est ouverte, suivant l’habitude, à neuf heures. Dans la salle au plafond bas, et démesurément longue, s’étendent face à face, deux alignemens de six banquettes garnies de drap vert, à dossiers rembourrés, se rejoignant en amphithéâtre aux extrémités ; d’un côté, dans le milieu de la longueur, la tribune des orateurs et la barre ; vis-à-vis, le fauteuil et la table du président, dominant un vaste guéridon autour duquel, en demi-cercle, se placent les secrétaires. A la hauteur d’un étage court une étroite galerie dont le balcon est tendu d’étoffe verte, ce sont les tribunes réservées ; aux bouts, derrière chacun des amphithéâtres, s’ouvrent, comme deux antres, les tribunes publiques, hauts et profonds escaliers de gradins. Au centre s’allonge la piste étroite, coupée seulement de deux gros massifs de faïence, poêles l’hiver, ventilateurs l’été.

Le président, Beauharnais, est absent ; les députés, très animés, se groupent ; bien peu gagnent leurs places ; les tribunes publiques regorgent d’une foule entassée que, contrairement à l’ordinaire, la curiosité intense rend muette.

Comme Beauharnais ne paraît pas, l’ex-président Dauchy monte au fauteuil : c’est un ancien postillon, cultivateur dans le Beauvaisis ; il est de manières brusques et peu orateur. Il se penche vers la table des secrétaires ; l’un d’eux se lève et commence la lecture du procès-verbal de la veille : un murmure s’élève :

— Il est bien question de procès-verbal ! crie un député, du seuil de la salle.

Dauchy se tourne, s’agite et tout à coup quitte le fauteuil. Beauharnais traverse hâtivement la piste ; l’air préoccupé, mais digne et très froid, il monte à sa table et, debout :

— Messieurs, dit-il, j’ai une nouvelle affligeante à vous communiquer.

Un silence absolu plane sur l’Assemblée : les treize cents députés, les deux mille spectateurs retiennent leur souffle.

— Je dois prévenir l’Assemblée, poursuit Beauharnais, qu’à huit heures du matin… un moment avant de me rendre ici…