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Dufay pour Lille, M. Lafontaine gagnera Lyon[1], M. de Romeuf, l’aide de camp du général, courra la poste sur la route de Laon et de Mons : c’est par-là que, de l’avis unanime, le Roi a dû gagner la frontière, distante de Paris d’environ 50 lieues. Bien d’autres, séduits par l’aventure, projettent la partie de rejoindre les fugitifs ; et l’on court à la poste aux chevaux, rue Contrescarpe-Dauphine ; on réquisitionne tous les bidets disponibles ; on perd du temps en embrassades, en adieux, en poignées de main ; on en perd davantage à tenter la sortie de Paris, car, dès la première alarme, les barrières ont été fermées, personne ne passe sans solides références ; la méfiance, depuis une heure, est à l’ordre du jour. De tous ceux qui partirent ainsi, bouillans d’ardeur, bien peu dépassèrent la banlieue ; on en vit à Senlis[2], à Etampes, à Beauvais, à Provins, à Maintenon. La plupart même n’allèrent pas si loin.

Aux Tuileries, pourtant, la foule circulait en maîtresse ; mais à mesure qu’elle pénétrait plus avant dans ce mystérieux château, jamais visité, elle s’assagissait ; ardente curiosité ou vénération instinctive ? les Parisiens, nés respectueux quoi qu’ils disent, avaient encore, innés, la religion de la royauté et un amour filial pour les Bourbons. On se connaissait depuis si longtemps ! La gloire des uns était si bien liée à l’histoire des autres ! Et le sentiment qui dominait était un dépit boudeur contre ce bonhomme de roi, à qui l’on avait fait quelques misères, c’est vrai, mais qui avait eu tort, aussi, de se fâcher et de déserter, pour si peu, son peuple. S’il allait ne pas revenir ! Et c’était une consternation désespérée à l’idée qu’on était privé de lui, peut-être pour toujours. Aussi avançait-on dans les salons de son palais, avec une sorte de recueillement. — « Ah çà ! messieurs, disait-on, contentons-nous de regarder tout ce qu’il y a à voir ici, et que pas un de nous n’y touche, sans quoi il sera pendu sur-le-champ[3]. »

On considérait avec un intérêt attendri la chambre du petit Dauphin. Chez la Reine, un peu plus d’animosité et de bruit :

  1. Etat des bidets fournis par les ordres de MM. le Maire et Lafayette le 21 juillet (sic) 1791. Archives nationales, M. 664.
  2. A Senlis, la nouvelle de la fuite parvint vers midi et demie par deux particuliers vêtus de l’uniforme national, sur des chevaux de poste, porteurs d’ordres « pour courir après le Roi. » A Valenciennes, on sut le départ du Roi, le 22 à quatre heures du matin, par un courrier de la section des Quatre Nations de la commune de Paris.
  3. Déclaration de Pierre Hubert, garçon du château.