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Mais le grand événement de la discussion lui a été en quelque sorte extérieur : c’est la motion que M. Millerand a apportée subitement à la tribune au nom de la commission d’assurance et de prévoyance sociales dont il est le président, et le discours par lequel il l’a appuyée. Il y a eu, entre M. Millerand et M. Combes, un corps à corps rapide et brutal dont le dénouement a été pendant une heure incertain. On se demandait si M. Combes n’allait pas être renversé et piétiné par son adversaire : cette fois encore il est resté debout, — et toujours avec dix voix de majorité. M. Millerand n’a donc pas détaché du bloc ministériel une voix de plus que M. Leygues, une voix de plus que M. Caillaux. Il est pourtant beaucoup plus à gauche qu’eux, et c’est bien là-dessus qu’on comptait. On espérait que l’orateur socialiste entraînerait avec lui au moins une partie de ses amis, et que sa notoriété républicaine couvrirait la défection d’un certain nombre de radicaux. Au lieu de cela, il a été abandonné par tous, et certaines voix relativement modérées qui s’étaient séparées du ministère pour voter avec M. Caillaux ou avec M. Leygues n’ont pas voulu accepter de solidarité avec M. Millerand. Le grand effort de celui-ci, préparé en secret pour éclater comme un coup de tonnerre, n’a donc produit qu’un médiocre résultat. Mais le bloc n’en a pas moins été un peu plus ébréché encore, puisque il a perdu M. Millerand.

Nous sommes tenté de prendre la défense de M. Combes contre ce dernier : et pourquoi ne le ferions-nous pas ? Entre les deux, notre cœur, pas plus que notre esprit, ne balance : ils n’inclinent pas davantage vers celui-ci que vers celui-là. M. Millerand a reproché à M. le président du Conseil de s’absorber jusqu’à la monomanie dans son obsession anti-congréganiste, et de négliger, d’oublier même complètement les grandes réformes sociales qui ont été si souvent promises. Il paraît que le pays ne peut pas les attendre plus longtemps. Le projet de loi sur les retraites ouvrières est particulièrement urgent. La commission du travail a exprimé à maintes reprises le désir d’en causer avec M. le ministre des Finances et M. le président du Conseil, mais pas plus le second que le premier ne s’est prêté à cette fantaisie. Les lettres de M. Millerand à M. Combes sont restées non avenues. Bien plus ! M. Combes a déclaré très franchement qu’il avait demandé à M. le ministre des Finances d’imiter son exemple, de ne pas répondre à la commission et surtout de ne pas comparaître devant elle. Il y a dans cette attitude une sorte de crânerie que M. Millerand n’a pas goûtée. M. Combes en a pourtant donné une raison pleine de bon sens, à savoir que, pour faire les réformes sociales de M. Millerand, il fallait