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étonnement un résultat tout contraire, un fait paradoxal, c’est que le suc naturel n’a aucune action sur l’albumine et les matières protéiques. Il ne les digère pas du tout. Pavlow disait qu’il exerce seulement une action très faible : Bayliss et Starling prétendent encore qu’il est capable de digérer certains albuminoïdes ultra-fragiles, comme la caséine ou la fibrine fraîche. Mais c’est encore trop dire. C’est le mérite de Delezenne d’avoir montré que le suc pancréatique est complètement inactif.

Mais alors, comment sont digérés les alimens albuminoïdes ? L’expérience montre que c’est par le concours de ce suc pancréatique inactif et du suc intestinal inactif lui-même. Ces deux incapacités, par leur association, font une œuvre viable. C’est Pavlow et son élève Schepowalmkow qui ont constaté ce fait, sans exemple dans l’histoire des fermentations, et, à cause de cela même, digne d’attirer l’attention. Il est vraisemblable, en effet, qu’il ne restera pas isolé. Des recherches ultérieures démontreront, sans doute, l’existence d’autres kinases, qui prendront place à côté de la kinase intestinale et seront capables comme elle d’activer, de sensibiliser des sucs glandulaires correspondans. C’est une voie nouvelle ouverte aux recherches.

En résumé, le suc pancréatique ne contient donc pas un ferment, la trypsine, d’ores et déjà efficace, comme le croyaient nos prédécesseurs. Le suc intestinal est tout aussi inerte vis-à-vis des matières albuminoïdes. Mais l’un et l’autre contiennent des substances dont la rencontre confère au mélange le pouvoir refusé à chacun des facteurs, celui d’attaquer, dissoudre, décomposer, c’est-à-dire digérer les albuminoïdes. Cette substance, dans le suc pancréatique on l’appelle la protrypsine ; celle du suc intestinal a reçu le nom de kinase ou entérokinase. Toutes deux sont destructibles à une température inférieure à 70° et elles présentent quelques autres caractères communs avec les fermens solubles.

Pavlow et ses élèves, et, d’un autre côté, Bayliss et Starling sont d’avis que la vertu digestive est latente dans le suc pancréatique (pro-trypsine), et qu’elle se développe sous l’action de la kinase. Le rôle de celle-ci consisterait à changer la protrypsine inactive, inopérante, en trypsine active. Il y a des faits plus ou moins analogues dans la science. Par exemple, la pepsine du suc gastrique, obtenue en faisant macérer la muqueuse stomacale dans l’eau pure, n’a pas d’action digestive. Elle est à l’état de propepsine indifférente. Si on la traite par une solution acide ou par l’oxygène, elle acquiert le pouvoir digestif ; elle devient