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l’action chimique digestive qu’à l’exécuter. Préparer un hachis de bouilli n’est point le digérer.

La démonstration de l’inutilité de l’estomac, commencée par la chimie biologique, fut continuée par les zoologistes, qui constataient l’absence de cet organe chez un assez grand nombre de poissons, ablettes, carpes, tanches, dipneustes, cyclostomes, et chez l’amphioxus. Elle fut complétée par les chirurgiens et expérimentateurs, qui pratiquèrent l’ablation totale de cet organe sans dommage apparent pour les opérés. — En dépossédant l’estomac de sa principale fonction, an ne lui refusait pas quelques offices secondaires. On consentait, par compensation, à lui attribuer un rôle antiseptique, c’est-à-dire à en faire un organe de défense de l’organisme contre les microbes pathogènes. La réalité de cette action préservatrice de l’estomac n’est pas contestable, bien qu’elle ne soit pas universelle. Elle est due à l’acidité de son suc qui est suffisante pour détruire les microbes et, d’une manière générale, tous les organismes vivans qui ne sont point spécialement protégés.

Disqualifié en tant qu’organe digestif, l’estomac céda la place au pancréas et le suc pancréatique hérita de toutes les vertus transmutatrices attribuées précédemment au suc de l’estomac. Une petite part en était laissée à l’intestin. — Mais voici une nouvelle péripétie. Les recherches récentes sont en train de montrer que les activités énergiques du pancréas et de l’intestin sont mises en branle par l’action de l’estomac. C’est le suc acide de l’estomac qui provoque la formation d’une liqueur appelée sécrétine, stimulant naturel de la sécrétion du pancréas. Cette même réaction acide parait être la source de l’excitation qui détermine l’abondante sécrétion du suc intestinal. De plus, ce suc contient précisément la kinase, c’est-à-dire la substance sans laquelle le suc pancréatique n’aurait aucune vertu efficace pour la digestion des alimens azotés ou albuminoïdes. Le rôle de l’intestin grandit aux dépens de celui du pancréas.

Les médecins de la vieille école, ceux que nous appelions tout à l’heure les fidèles du régime déchu, se sont réjouis de voir contester le pouvoir de l’usurpateur. Ils n’avaient jamais désarmé. Sans doute, ils s’étaient rendus aux raisons des expérimentateurs qui démontraient la presque-inutilité de l’organe au point de vue de la transformation chimique des alimens ; mais c’était à regret. Ils ne contestaient pas que l’on pût vivre exceptionnellement sans estomac. Néanmoins, il leur en coûtait d’acquiescer à l’opinion générale affirmant que, si le bon état de ce viscère importe beaucoup à la santé, il importe fort peu