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c’est-à-dire qui s’intéressent à tout ce qui se peut comprendre, ne refuseront pas de nous suivre dans une région de la science qui est un vieux pays dont un travail de métamorphose est en train de faire un pays nouveau.

Dans ce domaine de la digestion, les révolutions se succèdent. L’estomac, qui a longtemps régné en maître absolu, a été détrôné, il y a environ un demi-siècle. Le pancréas a pris sa place. Mais voici qu’après quelques années pendant lesquelles on se plaisait à voir réunies en lui toutes les vertus et toutes les capacités digérantes, son autocratie est menacée : et elle l’est de deux côtés. D’une part les physiologistes d’avant-garde réclament pour l’intestin une part de plus en plus grande dans le fonctionnement digestif ; et, d’autre part, les vieux partis veulent rendre à l’estomac, sous une forme rajeunie, une partie de l’influence dont il avait été dépossédé. Le spectacle de ces vicissitudes, à travers lesquelles la physiologie poursuit sa marche en avant, excitera peut-être assez d’intérêt pour qu’on s’impose la peine de surmonter l’ennui de quelques arides détails.


I

La physiologie ancienne plaçait toute la digestion dans l’estomac. Elle attribuait à cet organe un rôle prépondérant et quasi unique dans la transformation des alimens. En revanche, l’opinion d’hier — et nous parlons de quatre ou cinq ans, — déclarait que l’estomac est inutile à la digestion et qu’il lui est peut-être nuisible. Elle réduisait son rôle à celui d’un sac à provisions, d’un simple garde-manger, où les alimens se rassemblent avant d’être exposés dans l’intestin à l’action énergique et décisive du suc pancréatique. Elle faisait ressortir que, des quatre classes de substances alimentaires, sucres, graisses, féculens, albuminoïdes, ces dernières seules sont modifiées par l’estomac. Et non point toutes les substances albuminoïdes, mais un petit nombre seulement d’entre elles, celles qui sont le plus attaquables, qui forment le tissu unissant ou conjonctif. Celles-là, à la vérité, sont dissoutes, liquéfiées, digérées. Mais la chair musculaire, la viande échappe à toute action : ses fibres sont seulement dissociées et séparées, comme il arrive pour la viande que l’on fait bouillir. Dans un cas comme dans l’autre, dans la digestion gastrique comme dans la préparation du pot-au-feu, la désagrégation de la chair musculaire est due à la fonte du ciment conjonctif unissant. L’effet du suc de l’estomac, à cet égard, consiste plutôt dans une action physique ou mécanique destinée à faciliter